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Affaire Thomas Legrand : le journalisme politique malade de son corporatisme
#journalismepolitique #editorialisme #pluralisme
Article mis en ligne le 15 septembre 2025
dernière modification le 12 septembre 2025

Les 5 et 6 septembre, le média d’extrême droite L’Incorrect publie trois courtes vidéos, tournées en caméra cachée et diffusées après montage (on devine de nombreuses coupes). On y voit discuter, autour d’une table de restaurant, deux journalistes – Thomas Legrand (France Inter, Libération) et Patrick Cohen (France Inter, France 5) – et deux cadres du PS – Pierre Jouvet (secrétaire général du parti) et Luc Broussy (président du conseil national). Il s’agit, en l’occurrence, d’une pratique ordinaire du journalisme politique français : des rencontres « en off » entre commentateurs et professionnels de la politique, caractérisées par un évident entre-soi (on le voit, par exemple, à l’usage du tutoiement par Thomas Legrand) et un certain mélange des genres (ici, Thomas Legrand donnant des conseils en stratégie politicienne aux cadres du PS).

La séquence a circulé à grande échelle, notamment en réaction à deux passages dans lesquels Thomas Legrand laisse entendre qu’il use de son fauteuil d’éditorialiste pour mener campagne contre Rachida Dati et en faveur de Raphaël Glucksmann – ce qui, au vu de sa passion historique pour « la gauche de gouvernement », de la ligne toujours « raisonnable » de ses éditos et de celle de son journal, n’était un mystère pour personne. C’est néanmoins en raison d’une phrase prononcée contre la ministre de la Culture (« Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick et moi ») qu’il sera suspendu de France Inter, à titre conservatoire, dès le lendemain (6/09).

Le journalisme politique : un problème

Égrener les partis pris, traficoter le capital politique des élus… : les journalistes politiques, éditorialistes et autres intervieweurs ont des préférences politiques et celles-ci transparaissent dans leur façon de travailler. Il ne s’agit pas là du scoop du siècle, leur prétention à l’« objectivité » et à la « neutralité » ne pouvant plus convaincre qu’eux-mêmes (et encore). Pataugeant dans le microcosme politico-médiatique, ils sont pour la plupart sociologiquement proches des professionnels de la politique, dont ils partagent en grande partie les préoccupations, les questionnements et les manières d’appréhender les rapports sociaux, au point d’apparaître régulièrement – à l’antenne comme en privé, visiblement… – comme des acteurs politiques à part entière. Nulle surprise, dès lors, à les observer se comporter tantôt en conseillers de prince, tantôt en ingénieurs en stratégie politique, fidèles à la feuille de route du journalisme de prescription qui préside à leur pratique du métier. Rien de plus banal, enfin, que de constater leur propension à se vivre comme d’authentiques faiseurs de roi et à faire étalage de leur influence et du pouvoir (supposés) de leur média sur les publics (...)

Pour y remédier, la profession pourrait faire preuve d’autocritique et envisager des solutions. L’une d’entre elles consisterait à repenser le métier de fond en comble : du reportage et de l’enquête plutôt que du commentaire, de la transparence plutôt que du off, du fond plutôt que des sondages et de la comm’. Du journalisme plutôt que de l’éditorialisme, en somme (...)

Reste une deuxième porte de sortie, en forme de pis-aller : prendre acte du rôle politique des éditorialistes et garantir alors les conditions d’un réel pluralisme des expressions et des courants d’idées dans les médias audiovisuels, a fortiori de service public – on en est loin.