
Pour combler son déficit, la télévision européenne a cherché des sponsors partout, en particulier au Qatar. 292 publireportages pour la monarchie du Golfe ont été diffusés depuis début 2023. Et le média prévoit aujourd’hui d’ouvrir des bureaux régionaux en Azerbaïdjan et en Ouzbékistan pour produire davantage de « contenus partenaires ». Il est loin le rêve d’un journalisme ouvert et transnational. Bienvenu au royaume du fric et du lobbying.
La vidéo a le ton, l’angle et l’allure d’un reportage. Mais un détail cloche avec l’épisode de l’émission Focus d’Euronews consacrée à la COP 29 qui s’est tenue en novembre 2024 en Azerbaïdjan. Un discret « en partenariat avec Azpromo » apparaissant trois secondes à la fin du reportage explique ce malaise : Azpromo est l’acronyme du Fonds azerbaïdjanais de promotion des exportations et des investissements, une entreprise publique privée conjointe créée par le ministère de l’Économie de ce régime autoritaire. Et cela transpire dans le reportage.
De l’avis des experts du climat, la COP 29 a été un fiasco. Elle n’a abouti qu’à un accord des pays dits « développés » portant sur le déblocage de 300 milliards de dollars par an pour aider les pays du Sud global les plus vulnérables, au lieu des 1 300 milliards nécessaires pour faire face au dérèglement climatique. Euronews en a pourtant dressé un bilan étonnamment tiède (...)
Le ministre des Affaires étrangères azerbaïdjanais a même bénéficié de 30 secondes pour se féliciter les avancées de cette COP.
838 publireportages
Sur Euronews, ce type de publireportage est monnaie courante. Produire de l’information en continu dans 17 langues coûte cher. Très cher. Au point que le média multilingue est en déficit constant depuis des années. Alors pour rester à flot, la chaîne produit en masse des « contenus sponsorisés », commandés par des États, des entreprises et des institutions, puis diffusés à l’antenne. Au total, Blast a recensé 838 publireportages publiés par Euronews depuis le 1er janvier 2023 et jusqu’au 30 novembre 2024, dont nous révélons la liste complète ici. Sur cette période, la Commission européenne a commandé 296 publireportages, suivie de près par le Qatar avec 292 partenariats, l’Azerbaïdjan avec 44 vidéos, puis l’Ouzbékistan avec 29 reportages. (...)
Plus rares et plus chers, les « contenus partenaires » sont réalisés par les clients eux-mêmes, puis diffusés sur Euronews. Dans les deux cas, le générique des publireportages mentionne ce partenariat. Charge aux téléspectateurs d’y prêter attention.
La palme des « partenariats » revient à la Commission européenne qui a commandé 296 publireportages, quasi exclusivement dédiés à des sujets d’intérêt général, bien que traités sous un prisme favorable à l’institution. (...)
Le Qatar, « partenaire » omniprésent (...)
Sur les talons de la Commission européenne, le Qatar a fait réaliser par Euronews 292 reportages en partenariat depuis début 2023. Un chiffre surprenant pour une chaîne dont la mission est de fournir une « perspective européenne à un public mondial ». Ces vidéos sont le fruit d’un accord noué en 2021 avec Media City Qatar, une organisation du gouvernement qatari chargée de promouvoir mais aussi contrôler l’image de l’émirat. Ce partenariat a permis l’ouverture d’un bureau régional de la chaîne européenne et d’une école de journalisme. Il a également offert un espace médiatique conséquent à la pétromonarchie en Europe. Et ce malgré les scandales comme le Qatargate… (...)
L’Azerbaïdjan, un client si gourmet (...)
En 2024, RSF a classé l’Azerbaïdjan à la 164e place, sur 180, de son classement de la liberté de la presse. Selon l’ONG, le président azerbaïdjanais mène « une guerre impitoyable contre les dernières voix critiques ». Dans le pays, « la quasi-totalité de l’espace médiatique se trouve sous le contrôle des autorités ». Gare aux voix dissidentes (...)
Au travers de ses vidéos sponsorisées, Euronews dépeint ce régime autoritaire d’Asie centrale comme une destination idyllique (...)
Le pays du Caucase a lourdement investi pour faire taire les critiques sur sa politique intérieure de répression des libertés publiques et gagner des soutiens dans le conflit qui l’oppose à l’Arménie. Vue depuis l’Azerbaïdjan, Euronews a la réputation d’être la voix de l’Europe. Y briller est perçu comme un intéressant levier de soft power. D’autant que dans les pays de l’ex-Union Soviétique, le média multilingue est presque la seule alternative aux télés d’États.
Entre 2023 et 2024, le nombre de vidéos produites par Euronews sur l’Azerbaïdjan a doublé, passant de 14 à 30. (...)
Selon les informations de Blast, la chaîne européenne va intensifier son partenariat avec le régime autoritaire d’Azerbaïdjan. Elle va ainsi ouvrir un bureau régional à Bakou...entière dédié à la publication de publireportages.
Ces généreux contrats portent la marque de Pedro Vargas David, le propriétaire d’Euronews, dont la famille a tissé des liens serrés avec le régime.
Mario David, observateur bienveillant des élections « libres »
Ex-député européen du Portugal, Mario David n’est pas seulement un ami du Premier ministre hongrois Viktor Orban. (...)
Quels impacts auront les liens familiaux avec l’Azerbaïdjan sur les contenus des reportages déjà très sponsorisés de sa chaîne d’information ?Contactés, ni Pedro Vargas David, ni Mario David, n’ont répondu à Blast. Le responsable « Asie et Moyen-Orient » d’Euronews est lui aussi resté silencieux.
Un nouveau bureau ouvert en Ouzbékistan
Selon les informations de Blast, un bureau local va également être ouvert en Ouzbékistan, troisième pays le plus représenté par les publireportages d’Euronews avec 29 partenariats réalisés depuis début 2023. L’ouverture d’une chaîne étrangère serait une révolution dans le paysage médiatique de cette ancienne république soviétique, où aucune télévision indépendante n’existe selon Reporters Sans Frontières.
Mais les journalistes d’Euronews arriveront-ils à travailler en paix dans ce pays classé 148e sur 180 par RSF ? (...)
Censure, surveillance et autocensure sont encore bien présentes », constate l’ONG, qui note que « des représentants du pouvoir n’hésitent pas à exercer des pressions économiques ou à tenter de corrompre des journalistes ». Une chance, cette antenne locale sera entièrement dédiée, comme celle de Bakou, à la production de publireportages...