
Héritier direct du local l’Yggdrasil de Génération identitaire, le bar rouennais Le Mora a du mal à cacher sa filiation avec le groupe d’extrême droite dissous en 2021. S’y retrouvent nouveaux militants et nostalgiques de l’ancienne organisation.
« Ausländer Raus », c’est l’expression choisie par le local d’extrême droite rouennais Le Mora pour sa soirée à thème « White Boy Summer » du 28 juin. Un titre tiré de la formule « Ausländer Raus ! Deutschland den Deutschen » (en français : « Étrangers dehors ! L’Allemagne aux Allemands »), un slogan chanté sur l’air de L’Amour toujours, de l’artiste Gigi D’Agostino, très prisé dans les milieux ultranationalistes et néonazis d’outre-Rhin.
Même si une soirée du même type avait déjà été organisée l’an passé sans attirer l’attention, le maire socialiste de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, était, dans la semaine précédant l’événement, monté au créneau en demandant son interdiction. (...)
l’événement était finalement annulé le jour même par ses organisateurs. Une décision au moins en partie motivée par l’intervention le 28 juin sur France Info de Gérald Darmanin, qui exprimait sa volonté de dissolution de l’Union normande de France, l’association gérant le local. (...)
Quoi qu’il en soit, cette annulation n’a pas empêché plusieurs dizaines de militants d’extrême droite – dont un certain nombre d’entre eux étaient venus d’autres villes – de déambuler en groupe ce soir-là dans les rues de Rouen, d’après des informations concordantes que Le Poulpe a recueillies. (...)
En réaction à l’annonce de la soirée, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) a déposé une plainte contre X pour « discrimination fondée sur l’origine, l’ethnie ou la nationalité dans l’offre ou la fourniture d’un bien ou d’un service », pointant que des personnes étrangères ou perçues comme telles auraient pu se voir « refuser l’accès à un lieu accueillant du public » ou encore « ne seraient pas admises à faire partie de l’association » à l’origine de la soirée.
Dans sa réponse au Poulpe, le parquet de Rouen, pour sa première communication publique sur le sujet, indique avoir effectivement lancé une enquête à l’égard du bar pour incitation à la haine. Elle a cependant été classée sans suite en raison de l’annulation de la soirée.
Un ancien cadre de Génération identitaire à la manœuvre (...)
Carrefour entre nostalgiques et jeunes militants (...)
Même si Le Mora ne publie plus sur les réseaux sociaux de photos de ses événements, d’anciens posts aujourd’hui supprimés ainsi que des publications issues des comptes du groupe des Normaux montrent clairement la présence de membres importants du groupe à des conférences organisées par Le Mora. Des indices appuyés par des témoignages que Le Poulpe a pu recueillir.
Parmi les personnes visibles sur ces images, on peut notamment reconnaître des figures importantes du groupe comme Julien Legras – qui se vante sur son compte X d’avoir participé à l’opération de 2021 contre Alice Coffin – ou encore Édouard Gouraud, un ancien membre de Génération identitaire.
Le Poulpe a également pu constater que les autorités ne sont pas non plus dupes des liens entre ce groupe et Génération identitaire. (...)
Au-delà de son engagement au sein des Normaux, Édouard Gouraud – ancien professeur d’histoire-géographie dans un collège d’Elbeuf, à une vingtaine de kilomètres au sud de Rouen – est aussi l’un des porte-parole au national du mouvement néofasciste Argos sous le pseudonyme d’Édouard Argos.
Un groupe créé en 2022 qui partage, tant dans ses discours que dans son esthétique léchée, une ressemblance troublante avec feu Génération identitaire. Cette proximité n’est pas passée inaperçue aux yeux des autorités qui, le 12 mars 2024, ont procédé à quinze interpellations, dont celle d’Édouard Gouraud d’après des informations du Poulpe, dans le cadre d’une enquête pour « participation au maintien ou à la reconstitution d’une organisation ».
L’exemple lyonnais
L’exemple du bar Le Mora n’est pas sans rappeler le cas de La Traboule, à Lyon (Rhône). Le lieu, très lié à Génération identitaire, avait pu échapper à la fermeture malgré la dissolution du groupe en 2021, car il était géré par une association distincte. Tout comme une salle de sport aussi située dans le Vieux-Lyon. Pour permettre la suppression de ces deux associations, au mois de juin, le gouvernement s’est appuyé sur les liens « revendiqués et assumés » qu’elles entretenaient avec Les Remparts, un mouvement issu d’une résurgence lyonnaise de Génération identitaire. (...)