
Héritée de la monarchie, la faisanderie de Rambouillet produit chaque année des milliers de volatiles destinés à être tirés par quelques privilégiés. Et certains profitent du mécénat d’entreprise défiscalisé pour s’adonner à ce type de chasse contestée par les environnementalistes.
quelques centaines de mètres de cette ferme qui se veut à la pointe des techniques de reproduction, de sélection des races et du bien-être animal, subsiste le dernier élevage de gibier géré par la puissance publique. Aucune publicité n’est faite sur ce lieu, fermé au grand public. Et pour cause, ici les faisans sont élevés dans des conditions bien plus industrielles que bucoliques.
Reporterre a pu jeter un œil derrière les murs centenaires : disséminées dans une vaste prairie, des installations s’alignent sur plusieurs centaines de mètres. Dans les parcs de reproduction, les mâles fécondent les femelles, qui sont ensuite placées dans des cages minuscules, hors-sol et grillagées, pour faciliter la récupération des œufs. Une fois pondus, ces derniers sont transférés dans une vingtaine de couvoirs. Dans ces pavillons équipés de lampes chauffantes, les faisandeaux éclosent et grandissent avant d’être lâchés sur des parcelles du parc de chasse attenant de 650 hectares, tout aussi fermé au public que la faisanderie. (...)
Pourquoi alors maintenir cet élevage de gibier sous tutelle publique à Rambouillet [1] ? À cette question, ce n’est ni l’Office national des forêts ni le domaine de Rambouillet qui répondent, mais le domaine de Chambord : ce dernier a repris en 2018 la gestion du parc de chasse francilien et donc l’élevage de faisans qui s’y trouve [2]. La direction ne souhaite pas accorder d’entretien sur ce sujet, mais le service communication livre quelques informations par courriel. Ainsi, l’objectif de la faisanderie de Rambouillet ne serait pas de produire des oiseaux destinés à être tirés, mais d’assurer la conservation de l’espèce : « La population est gérée dans les conditions les plus naturelles possibles avec des reprises et relâchements ponctuels. » (...)
La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) dénonce le cercle vicieux qu’engendrent ces pratiques : nés dans des couvoirs sous des lampes chauffantes, les faisandeaux n’ont pas de mère pour leur apprendre à se nourrir et à échapper aux prédateurs, leur inexpérience limitant fortement leur espérance de vie. Alors, pour éviter que les faisans d’élevage ne soient décimés par la faune sauvage — renards et divers mustélidés (belettes, putois, blaireaux, etc.) —, les chasseurs abattent et piègent leurs concurrents à fourrure, à Rambouillet comme partout en France. (...)
En contrepartie des dons réglés par les firmes ou fondations qu’ils dirigent, les dirigeants concernés, souvent chasseurs eux-mêmes, se font inviter à Rambouillet. D’où leur générosité (...)
Ainsi, par la grâce du mécénat, la « chasse à la cocotte d’élevage » organisée sous la tutelle de l’État devient une pratique culturelle subventionnée. Et les Français et les Françaises continuent de mettre indirectement de leur poche puisqu’il s’agit d’un mécénat largement défiscalisé, donc correspondant à un manque à gagner pour l’État.
Quand bien même ils ne seraient pas mécènes, des dirigeants politiques étrangers peuvent y exprimer toutes sortes d’extravagances. Il faut alors s’incliner, dans l’intérêt supposé de la France (...)