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Rue 89
Yeux fermés, bras ouverts, la Pologne dit « oui » au gaz de schiste
Article mis en ligne le 16 mars 2013
dernière modification le 12 mars 2013

Le sous-sol regorge de gaz de schiste, les majors nord-américaines accourent... Et la Pologne se voit déjà autosuffisante. Mais le manque de transparence inquiète.

Le 21 mars 2012, un rapport de l’institut géologique polonais établit les réserves de ce gaz dit non-conventionnel à 1 920 milliards de mètres cubes. En tenant compte des moyens techniques aujourd’hui disponibles, 346 milliards à 768 milliards de mètres cubes seraient directement exploitables. C’est dix fois moins que les 5 300 milliards pronostiqués par une étude de l’agence américaine de l’énergie un an plus tôt.

Qu’importe, cela représente environ 50 ans d’autosuffisance gazière pour la Pologne. Et une aubaine pour les compagnies énergétiques du monde entier.

Essentiellement nord-américaines – sur dix-neuf, deux sont polonaises – ces sociétés affluent, et essaiment leurs puits qui serviront à l’exploration. Le gouvernement polonais leur a cédé des permis à bas prix, décidé à favoriser l’expansion rapide de cette industrie. (...)

L’emballement pour le gaz de schiste est immédiat. Tout le monde espère enfin se défaire du voisin russe tant redouté, et les médias autant que l’opinion publique approuvent ce progrès, ce « miracle du gaz de schiste ». Le gouvernement compte sur la création de 500 000 emplois directs et indirects, et d’importants bénéfices financiers, notamment fiscaux. Dans son dernier budget, l’Etat prévoit d’investir dans cette industrie 12 milliards et demi d’euros d’ici 2020. (...)

Début 2012, une nouvelle loi entre en vigueur, refondant le droit minier polonais. Cette loi favorise l’exploration du gaz de schiste par les compagnies énergétiques. (...)

Les habitants voient ainsi pousser sur leurs terres des dizaines de puits, qui déjà émergent aux quatre coins du pays. Et surtout en Poméranie. Cette région du nord-ouest, très rurale, est la plus riche en gaz de schiste. C’est aussi une région pauvre, pour qui cette industrie est l’opportunité de créer de l’emploi et de la richesse. Et d’assurer l’indépendance énergétique (...)

Malgré cet emballement, certains habitants de la bourgade s’estiment mal informés. Justyna Kos, une agricultrice quadragénaire, a créé une association qui tente de glaner des informations. Quotidiennement, elle fait des revues de presse, interpelle la compagnie et les pouvoirs publics, pour savoir ce qu’il adviendra du puits de son village. (...)

Il ne s’agit même pas de protester. Tout le monde, sur le principe, est favorable. Mais autant tirer profit de cette aubaine équitablement. Le maire de la commune de Linia, dont dépend Lewino, n’est que déférence face aux aspirations de l’industriel qui bénéficie de facilités administratives. (...)

Monika tente d’alerter ses concitoyens sur les dangers environnementaux liés à la fracturation hydraulique. Souvent en vain.

« Pour certains habitants, nous sommes des hurluberlus. “Pourquoi s’opposer à un progrès technique qui nous rapporterait de l’argent ?” Voilà ce qu’ils disent. »

Pourtant selon elle, les dégâts se font déjà sentir. (...)

L’hôtel du coin ne désemplit pas depuis des mois, et plusieurs personnes ont été engagées dans la sécurité du site. « Ils voient les bénéfices à court terme et n’ont rien à faire des conséquences sur la nature », déplore-t-elle, dépitée (...)

Peu nombreux, les écologistes essaient de s’organiser. Çà et là, émergent de petites associations, comme celle de Monika. Une figure s’impose. Marek Kryda, 54 ans et la moustache fine, est le porte-voix indiscutable de la question verte. Il s’insurge contre la folie du gaz de schiste.

Selon lui, cette industrie est obsolète avant même d’exister. Surtout, il décrie les conséquences graves qu’elle pourrait avoir sur les réserves d’eau de la région. La Pologne en général, et la Poméranie en particulier en manquent cruellement. (...)

Mais les habitants ne semblent guère se soucier des conséquences. Ils écoutent le gouvernement et les compagnies qui leur expliquent que les techniques ont évolué. Plus sûre, plus propre, la fracturation sèche permettrait d’éviter les avaries. Une technique qui, hélas, est loin d’être opérationnelle, mais qui rend le gouvernement optimiste. (...)

« Au bord de la mer Baltique, 80% des gens vivent directement ou indirectement du tourisme. Si des dizaines de puits travaillent le long de la côte, ça en sera fini de ce secteur. »

Plusieurs puits ont déjà poussé sur cette côte bordée d’immenses plages de sable surmontées de dunes. Dans ce coin très prisé en été, où nombre de Polonais viennent s’adonner aux sports nautiques, certains habitants s’inquiètent des forages. Et de l’activité sismique qui en découle : les murs de certaines maisons arborent de nettes fissures sur plusieurs mètres. Résultat direct, selon leurs propriétaires, de la fracturation. (...)

Plusieurs s’organisent, exigent des explications et des réparations auprès des compagnies énergétiques. Certains ont pris la fibre écologique. Régulièrement, ils se réunissent, discutent et débattent. Ils ne comprennent pas que les industriels et le gouvernement restent si discrets sur la nature de cette activité. Beaucoup, comme les agriculteurs, assistent à ces réunions sans être engagés, simplement pour s’informer et comprendre.

Début octobre 2012, l’une de ces réunions s’est tenue dans un hôtel de la ville de Leba. Dans l’assemblée, une taupe, mandatée par une compagnie énergétique, enregistre les discussions. (...)