La Cour de cassation a tranché vendredi : Denis Robert a gagné contre Clearstream. C’est l’issue d’une longue lutte pour la liberté d’expression. À l’aune de son parcours singulier, le journaliste s’exprime sur le phénomène WikiLeaks qui, à son tour, fait trembler la finance et sonne le renouveau de la sphère médiatique.
La défense de la liberté d’expression et la lutte contre un pouvoir tentaculaire, voire totalitaire. J’ai été poursuivi dans l’affaire Clearstream 2 pour « recel de vol de secret bancaire ». Les parties civiles mettaient en avant le fait que les listings que j’avais obtenus étaient le produit d’un vol et qu’un tel procédé était condamnable. Ma relaxe dans cette affaire a fait jurisprudence. En reconnaissant la légitimité de mon enquête, le tribunal a reconnu la priorité du droit à l’information sur le secret bancaire. Quand l’intérêt général est patent, la justice peut admettre certains dépassements. WikiLeaks est exactement dans ce cas de figure et doit bénéficier, en France, de cette jurisprudence.(...)
Julian Assange fait œuvre de journalisme, bien plus que certains éditorialistes qui s’opposent à lui. Je trouve qu’on fait un mauvais procès à WikiLeaks en opposant transparence et raison d’État ou vie privée. Le système WikiLeaks a des défauts mais en termes de liberté d’expression, c’est la meilleure nouvelle de l’année. Le travail d’Assange et de ses amis permet de mieux comprendre le fonctionnement du monde, ils nous informent sur des pans complètement méconnus de la diplomatie et des affaires.(...)On vit une période de bouillonnement, de perte de repères, qui vient du Net, c’est évident. Le journalisme qui se profile est très affranchi, malgré la concurrence imposée actuellement par la crise de l’emploi. Une nouvelle génération de « webjournalistes » naît sous nos yeux. Des gens qui, parce qu’ils sont généralement jeunes, rapides et qu’ils ont domestiqué l’outil, parviennent à sortir des infos en court-circuitant le papier. Les journalistes plus anciens, aux schémas arrêtés, sont décontenancés. Pourtant, c’est une bouffée d’oxygène au moment où la presse française apparaît un peu dépressive, et à certains égards sclérosée. Cette période tumultueuse a ceci d’enthousiasmant qu’elle va obliger le journalisme à se refonder.(...)
Mon portable, celui de mes filles et celui de ma femme étaient sur écoute, mes ordinateurs ont été piratés… Le problème, c’est que ce genre de procédés vaccine les gens de l’envie de se confier à vous. Le pouvoir a tout intérêt à communiquer là-dessus. Et nous, tout intérêt à résister.(...)
le plus dur pour moi, c’est quand mon livre, Clearstream, l’enquête, a été retiré des librairies, en 2008. Cette censure n’a fait hurler personne. C’est là qu’on s’aperçoit qu’il est plus facile de dénoncer le musellement de la presse en Roumanie que de regarder ce qui se passe chez soi. C’est ce qui m’a le plus affecté dans cette histoire. Ce silence.(...)
On parle aujourd’hui de réguler le capitalisme, mais pour y parvenir, le meilleur moyen serait de contrôler les chambres de compensation internationales. Tant que ça ne sera pas le cas, les journalistes devront continuer à y mettre le nez coûte que coûte… Quitte à déranger les petits secrets des banquiers.
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