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Mediapart
Wall Street : la faillite d’un fonds souligne à nouveau les trous noirs de la finance
Article mis en ligne le 3 avril 2021
dernière modification le 2 avril 2021

La faillite du fonds Archegos a mis le monde financier en ébullition. Des banques font face à des pertes qui se chiffrent en milliards. Cette nouvelle débâcle illustre l’opacité des hedge funds, adeptes des produits dérivés. La finance est toujours hors contrôle.

Un fonds qui explose faute de pouvoir honorer ses appels de marge, des ventes précipitées à Wall Street, des banques qui font face à des pertes pouvant aller au-delà de 10 milliards de dollars, des régulateurs qui s’affolent et Goldman Sachs au milieu… Le scénario est familier. Mais, cette fois-ci, il ne s’agit pas de Lehman Brothers mais d’un fonds jusqu’alors totalement inconnu, en dehors des spécialistes, Archegos Capital Management. Mais sur le fond, rien n’a vraiment changé entre les deux épisodes.

Depuis une semaine, Wall Street ne parle plus que de ça. La débâcle d’Archegos a entraîné une liquidation spectaculaire de plus de 30 milliards de dollars à New York, le 26 mars. Certains titres ont chuté de plus de 30 % en une séance. Surtout de très grandes banques se retrouvent piégées. (...)

Même si cette faillite n’est pas a priori systémique, c’est-à-dire susceptible d’entraîner l’ensemble du système financier comme en 2008, elle constitue un sérieux avertissement. Contrairement à tout ce qui a été dit depuis une décennie, la finance n’est toujours pas sous contrôle.

De nombreux connaisseurs du monde financier ont souvent insisté sur le danger potentiel représenté par le trou noir des hedge funds. Ceux-ci sont restés à l’écart de toute régulation, de toute surveillance, et continuent d’œuvrer en toute opacité. Ils ne cessent de prospérer (...)

C’est ce trou noir que le fonds Archegos a mis à profit pour se développer, attirant des banques toujours aussi âpres au gain. Profitant de l’absence de toute réglementation, celles-ci ont utilisé ce fonds en quelque sorte pour externaliser le trading pour compte propre, qui leur est désormais interdit, et contourner les obligations prudentielles qui leur sont imposées pour couvrir les risques. (...)

Séduites par ce jeu censé être « gagnant-gagnant », toutes les banques se sont bousculées par venir prêter au fonds Archegos. Profitant de l’opacité qui règne sur ce marché – toutes les transactions se font de gré à gré, sans aucun contrôle –, celui-ci a utilisé l’effet de levier à plein. Surtout, il a décidé de concentrer ses investissements sur quelques titres comme le groupe Internet chinois Baidu, les groupes de médias Discovery et ViacomCBS.

Même dans cette période d’exubérance boursière, les analystes ne comprenaient pas l’envolée de ViacomCBS : depuis le début de l’année, il avait augmenté de 169 %. Ils ont eu la réponse cette semaine : Archegos avait amassé dans le plus grand secret des positions correspondant à plus de 10 % du capital en quelques semaines.

Mais la bulle a fini par exploser. À partir de février, les cours de certaines actions sur lesquelles Archegos avait massivement pris position ont commencé à chuter. Les banques ont commencé à demander des appels de marge pour couvrir la différence. Et Archegos s’est retrouvé étranglé : il n’avait pas les liquidités suffisantes pour couvrir ces gigantesques effets de levier. (...)

La débâcle d’Archegos a cependant réveillé les régulateurs. La SEC a ouvert une enquête préliminaire sur les pratiques du fonds. Alors que, depuis des années, de nombreuses voix dénoncent l’absence totale de transparence sur le marché des dérivés, il va lui être difficile d’écarter une nouvelle fois le sujet. D’autant que la secrétaire américaine au trésor, Janet Yellen, ancienne présidente de la FED, s’est déclarée en faveur d’un renforcement de la régulation en ce domaine.

Mais l’épisode pourrait laisser des traces aussi dans les banques. En dépit de tous les contrôles de risques censés exister, aucune n’avait vu les dangers auxquels elles étaient exposées chez Archegos, puisque aucune n’avait exigé d’avoir une vue d’ensemble sur les positions prises par le fonds. « Il est très difficile pour moi de défendre les raisons pour lesquelles nous lui avons prêté autant d’argent », a confessé un responsable d’une banque liée à Archegos.

Au-delà, cette affaire, après la faillite de Greensill survenu il y a à peine un mois, est un rappel à l’ordre pour toutes les banques. L’appât du gain et la protection assurée des banques centrales leur ont fait oublier toutes les règles, y compris celles de la maîtrise des risques. Toutes ont prêté en acceptant des effets de levier gigantesques. Cela a nourri l’explosion boursière mais rend la situation intenable. Archegos est un de ces canaris dans la mine qui le démontre.