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Voici comment l’Etat détruit les prairies et la biodiversité
Article mis en ligne le 20 octobre 2015
dernière modification le 15 octobre 2015

Depuis 2006, de nombreux paysans ont vu s’effondrer les aides perçues pour le maintien des systèmes herbagers. Malgré les décisions favorables des tribunaux, ils peinent à se faire rembourser par l’administration française. Cette politique entraine la destruction des prairies au profit de la céréaliculture productiviste.

(...) « On donne des aides à ceux qui font du maïs à coups de pesticides »

La réforme de 2006 a instauré de nouvelles règles de répartition des aides européennes aux agriculteurs. « Rien qu’en changeant les règles de répartition, on choisit d’orienter vers un système intensif ou herbager », explique Jacques Pasquier, qui suit le dossier à la Confédération paysanne [1]. Or, pour appliquer la réforme, « la France a décidé de prendre trois années de références – 2000, 2001, 2002. On a regardé ce que l’agriculteur avait touché, et on a fait une moyenne », poursuit le syndicaliste. Résultat : les cultures telles que le maïs ou les céréales ont droit à des subventions dépassant les 350 euros l’hectare quand les prairies sont en dessous de 50 euros. « On donne des aides à ceux qui font du maïs à coups de pesticides, mais pas à ceux qui préservent l’environnement avec leurs prairies ! » s’insurge Jean-Paul Morand.

L’injustice apparaît d’autant plus grande que beaucoup d’agriculteurs se sont engagés à convertir leurs champs en prairies via des contrats « agri-environnementaux », promus par la PAC à la fin des années 1990. Ce faisant, ils ont vu leurs aides baisser en suivant les incitations des politiques publiques. « L’Union européenne avait prévu ce problème, tempère le responsable syndical. La PAC prévoyait que ceux qui s’étaient engagés à développer les prairies reçoivent des aides complémentaires, pour compenser. Mais la France n’a pas, ou très peu, appliqué cette mesure », regrette-t-il. (...)

Pourquoi la France a-t-elle fait l’impasse sur ces compensations ? « Produire du lait ou de la viande avec de l’herbe, ça ne fait pas tourner le business des coopératives, des marchands de produits et de matériel agricole, avance Jacques Pasquier. Pour eux, la prairie est même un mauvais exemple : c’est une vache qui mange de l’herbe qui pousse toute seule ! » En clair, le lobby de l’agrobusiness aurait fait pression pour que les systèmes intensifs bénéficient de plus de subventions que les systèmes herbagers. (...)

Des ministres de l’agriculture imperturbables

Dès 2006, un premier mouvement de protestation a eu lieu dans les Côtes-d’Armor. Durant plusieurs mois, des agriculteurs ont jeûné à tour de rôle devant la préfecture de Saint-Brieuc. Les aides des agriculteurs du département ont été recalculées dans ce département, mais pas ailleurs.

À la suite de ce mouvement, une poignée de paysans s’est engagée dans une procédure judiciaire pour contester les calculs de l’administration. Au bout de presque dix ans, Patrick Guérin a réussi à obtenir une première indemnisation de 20.000 euros pour quatre ans. Il continue la procédure pour les cinq autres années de la période concernée. « Il y a clairement une volonté de la part de l’administration de faire durer et d’épuiser les gens », estime-t-il. Thérèse Fumery, elle, attend toujours. « La justice m’a donné raison, mais la préfecture refuse de recalculer mes aides. L’État ne fait rien ! »

Idem pour Jean-Paul Morand, qui compte aujourd’hui dix-sept procédures. Le tribunal administratif a même prononcé une astreinte de 100 euros par jour contre la préfecture tant que les aides n’auraient pas été recalculées, mais elle continue de faire la sourde oreille. « Cela a commencé le 17 septembre et je n’ai toujours pas de nouvelles », regrette l’éleveur. Après près de dix ans de procédures, il s’interroge : « Ne veut-on pas de prairies en France ? Ne veut-on pas de bio ? » (...)

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Voici comment l’Etat détruit les prairies et la biodiversité

10/15/2015
09:45
Reporterre
Astier Marie
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Depuis 2006, de nombreux paysans ont vu s’effondrer les aides perçues pour le maintien des systèmes herbagers. Malgré les décisions favorables des tribunaux, ils peinent à se faire rembourser par l’administration française. Cette politique entraine la destruction des prairies au profit de la céréaliculture productiviste.

En l’an 2000, Jean-Paul Morand élevait deux cents vaches à viande sur une centaine d’hectares de prairies, et se convertissait au bio. Le résultat d’une prise de conscience : « Mon père avait la maladie de Parkinson à cause des pesticides, et on était en pleine crise de la vache folle. » Quinze ans après, cet agriculteur d’Indre-et-Loire a dû vendre tous ses bovins pour éponger ses dettes. Il gagne désormais sa vie grâce à son gîte et à la vente du foin de ses prairies. « Mais une prairie sans fertilisation par les animaux, cela ne peut pas durer longtemps », avertit-il.

Sa situation n’est pas le résultat de la crise agricole. En cause : la modification, en 2006, de la politique agricole commune (PAC), principal soutien financier des paysans européens. « À partir de ce moment-là, toutes mes aides aux prairies sont tombées, se désespère l’agriculteur. Ce sont presque 40.000 euros par an qui ne m’ont pas été versés depuis dix ans. »
« On donne des aides à ceux qui font du maïs à coups de pesticides »

La réforme de 2006 a instauré de nouvelles règles de répartition des aides européennes aux agriculteurs. « Rien qu’en changeant les règles de répartition, on choisit d’orienter vers un système intensif ou herbager », explique Jacques Pasquier, qui suit le dossier à la Confédération paysanne [1]. Or, pour appliquer la réforme, « la France a décidé de prendre trois années de références – 2000, 2001, 2002. On a regardé ce que l’agriculteur avait touché, et on a fait une moyenne », poursuit le syndicaliste. Résultat : les cultures telles que le maïs ou les céréales ont droit à des subventions dépassant les 350 euros l’hectare quand les prairies sont en dessous de 50 euros. « On donne des aides à ceux qui font du maïs à coups de pesticides, mais pas à ceux qui préservent l’environnement avec leurs prairies ! » s’insurge Jean-Paul Morand.

L’injustice apparaît d’autant plus grande que beaucoup d’agriculteurs se sont engagés à convertir leurs champs en prairies via des contrats « agri-environnementaux », promus par la PAC à la fin des années 1990. Ce faisant, ils ont vu leurs aides baisser en suivant les incitations des politiques publiques. « L’Union européenne avait prévu ce problème, tempère le responsable syndical. La PAC prévoyait que ceux qui s’étaient engagés à développer les prairies reçoivent des aides complémentaires, pour compenser. Mais la France n’a pas, ou très peu, appliqué cette mesure », regrette-t-il.

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Jean-Paul Morand.

Jean-Paul Morand avait conclu un de ces contrats lors de son passage au bio. « Il s’est converti au mauvais moment », résume Jacques Pasquier. Il n’est pas le seul.

Patrick Guérin, éleveur de vaches laitières à Iffendic, en Ille-et-Vilaine, s’était engagé à conserver « au minimum 70 % de prairies sur les 30 hectares de (s)on exploitation ». Même chose pour sa voisine, Thérèse Fumery. « Sur 130 hectares, j’en avais 100 en herbe. L’État ne se gênait pas pour dire qu’il fallait faire plus de prairies, mais on n’avait pas d’aide », conteste-t-elle.

Pourquoi la France a-t-elle fait l’impasse sur ces compensations ? « Produire du lait ou de la viande avec de l’herbe, ça ne fait pas tourner le business des coopératives, des marchands de produits et de matériel agricole, avance Jacques Pasquier. Pour eux, la prairie est même un mauvais exemple : c’est une vache qui mange de l’herbe qui pousse toute seule ! » En clair, le lobby de l’agrobusiness aurait fait pression pour que les systèmes intensifs bénéficient de plus de subventions que les systèmes herbagers.

« A l’époque, presque 80.000 fermes, soit cinq millions d’hectares, avaient passé ces contrats agri-environnementaux, a-t-il calculé. On a estimé qu’il faudrait trouver environ 1,6 milliard d’euros pour réparer l’injustice sur neuf ans. Mais, après tout, très récemment, on a bien trouvé trois milliards d’euros pour un certain plan de sauvetage de l’agriculture. »
Des ministres de l’agriculture imperturbables

Dès 2006, un premier mouvement de protestation a eu lieu dans les Côtes-d’Armor. Durant plusieurs mois, des agriculteurs ont jeûné à tour de rôle devant la préfecture de Saint-Brieuc. Les aides des agriculteurs du département ont été recalculées dans ce département, mais pas ailleurs.

À la suite de ce mouvement, une poignée de paysans s’est engagée dans une procédure judiciaire pour contester les calculs de l’administration. Au bout de presque dix ans, Patrick Guérin a réussi à obtenir une première indemnisation de 20.000 euros pour quatre ans. Il continue la procédure pour les cinq autres années de la période concernée. « Il y a clairement une volonté de la part de l’administration de faire durer et d’épuiser les gens », estime-t-il. Thérèse Fumery, elle, attend toujours. « La justice m’a donné raison, mais la préfecture refuse de recalculer mes aides. L’État ne fait rien ! »

Idem pour Jean-Paul Morand, qui compte aujourd’hui dix-sept procédures. Le tribunal administratif a même prononcé une astreinte de 100 euros par jour contre la préfecture tant que les aides n’auraient pas été recalculées, mais elle continue de faire la sourde oreille. « Cela a commencé le 17 septembre et je n’ai toujours pas de nouvelles », regrette l’éleveur. Après près de dix ans de procédures, il s’interroge : « Ne veut-on pas de prairies en France ? Ne veut-on pas de bio ? »

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Une prairie en Bretagne.

Au niveau national, la Confédération paysanne a mené l’affaire devant le Conseil d’État, qui a pris une première décision en 2009, puis la Cour de justice de l’Union européenne. À chaque fois, la justice a donné raison au syndicat : la France doit recalculer les aides de ses agriculteurs. Mais les ministres de l’agriculture successifs sont restés imperturbables. (...)

La dernière décision du Conseil d’État, en février 2014, aurait dû rouvrir le dossier au sein des services du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. « Quand on lui a demandé, il nous a répondu qu’il n’était pas au courant de la décision du Conseil d’État, déplore Jacques Pasquier. Puis, on a appris que le dossier avait été transmis au service juridique plutôt qu’au service technique. » Traduction, le ministère de l’Agriculture cherche à éviter un rattrapage qui s’appliquerait à tous les agriculteurs lésés, et qui lui coûterait très cher (...)

Une question de temps

De toutes façons, il n’est pas dit que les éleveurs concernés acceptent l’arrangement proposé par l’administration. « Le ministère voudrait donner un montant forfaitaire. Mais ce n’est pas l’affaire de 10.000 euros. Ce sont neuf ans d’aides ! proteste le syndicaliste. En plus, cela ne concernerait que les agriculteurs qui sont allés en justice. Et les autres ? »

Thérèse Fumery, Patrick Guérin et Jean-Paul Morand ont fait le choix de poursuivre la bataille judiciaire, dont l’aboutissement n’est plus qu’une question de temps. « On mène un combat pour défendre les prairies », affirme ce dernier. Ils ne veulent pas laisser le ministère enterrer l’affaire en silence. Le contexte est favorable puisqu’une nouvelle PAC est entrée en vigueur au début de l’année. Les aides vont de toutes façons être recalculées petit à petit pour les années à venir. (...)