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Visas : quand fermer ses frontières aux étudiants africains devient un juteux business pour la France
#visas #etudiants #etudiantsAfricains
Article mis en ligne le 15 décembre 2022

C’est un business florissant pour la France, et très coûteux pour les Africains. Depuis plusieurs semaines, l’État français est accusé par plusieurs organisations civiles africaines de se faire de l’argent sur le dos des demandeurs de visa. En cette rentrée universitaire, les critiques sont particulièrement vives du côté des étudiants. Car c’est une règle : les frais dépensés (plusieurs centaines d’euros) ne sont jamais remboursés, même si la procédure n’aboutit pas.

Le 17 août 2022, la Fédération marocaine des droits du consommateur s’est saisie du sujet. Son président, Bouazza Kherrati, a envoyé un courrier à Hélène Le Gal, ambassadrice de France dans le royaume chérifien. Dans sa lettre, il demande la restitution des « frais des visas non délivrés », invoquant un « service non fait ». Bouazza Kherrati a reçu une fin de non-recevoir de la part de la diplomate. Un mois plus tard, le 14 septembre, 115 organisations des deux rives de la Méditerranée ont signé l’appel intitulé : « La politique des visas : discriminations et injustice ».

Selon elles, entre 2021 et mars 2022, 23 % des demandes de visa en provenance des pays du Maghreb ont été refusées parce que ces États rechignent à rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière en France. Ces organisations dénoncent des procédures « extrêmement coûteuses et sans remboursement en cas de refus », ainsi que « des mesures discriminatoires insupportables ».

Le chantage au visa dénoncé dans ce communiqué est assumé par le ministre français de l’Intérieur. Le 6 novembre 2020, lors de sa visite en Tunisie, Gérald Darmanin avait évoqué le sujet avec le président Kaïs Saïed. Le ministre français avait demandé au chef de l’État d’accepter le retour des Tunisiens expulsés de France, sans quoi le nombre de visas accordés serait réduit. Le 28 septembre 2021, sur France Inter, Gabriel Attal, alors porte-parole du gouvernement, parlait d’une « décision drastique, inédite, mais nécessaire » pour justifier la baisse sévère du nombre de visas accordés aux Tunisiens (-30 %), aux Marocains (-50 %) et aux Algériens (-50 %).

Plus de refus pour l’Afrique

La situation n’est pas tout à fait inédite. Dans les pays africains, le taux de refus est particulièrement élevé depuis au moins 2015 et ce que l’on a appelé en Europe « la crise migratoire ». (...)

Ces derniers mois, des étudiants ont ainsi été écartés arbitrairement, « alors que certains avaient déjà commencé leur cycle universitaire en France », explique Olivier Deau, attaché parlementaire de Karim Ben Cheikh, député (Nupes) de la 9e circonscription des Français de l’étranger. L’élu, ancien consul général à Beyrouth, sera le rapporteur spécial de l’évaluation annuelle de l’action extérieure de l’État. Ce document produit chaque année par l’Assemblée nationale étudie l’activité du ministère des Affaires étrangères. La question des visas sera au cœur de son travail, car, précise Olivier Deau, « nous recevons chaque jour des dizaines de demandes d’intervention de Français dont le conjoint, ou un membre de la famille n’ont pu obtenir un visa ou tout simplement une réponse ».
Un trafic de visas à Dakar ?

En septembre 2022, à Dakar, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous de dépôt de dossier auprès du prestataire privé VFS Global (qui gère le dépôt du dossier et l’enregistrement des données biométriques pour le compte du consulat français) dépassaient deux mois. Quant à ceux qui avaient enfin pu le déposer, ils n’avaient toujours pas obtenu de réponse plusieurs semaines après leur enregistrement. Afin de débloquer la situation, Moïse Sarr, le secrétaire d’État chargé des Sénégalais de l’étranger, a rencontré les 12 et 22 août Philippe Lalliot, l’ambassadeur de France, et Didier Larroque, le consul général à Dakar [2]. Les deux diplomates ont promis de renforcer les équipes et d’ouvrir 1200 créneaux supplémentaires au niveau du prestataire. (...)

Ainsi que l’a révélé la lettre d’information Africa Intelligence, une enquête administrative diligentée par le Quai d’Orsay au sujet du consulat français de Dakar a mis au jour un « trafic de visas » dont auraient pâti de nombreux demandeurs [3]. (...)

Centrafrique, Congo-Brazzaville, Sénégal… Les affaires de corruption dans les services consulaires français sont récurrentes. Déjà, en 2007, un rapport du Sénat établissait le constat suivant : « Pas un consulat visité n’a été épargné par des cas de corruption d’agents, en relation avec la demande de visas » (...)

C’est d’ailleurs l’un des arguments qui a été avancé par l’État français à la fin des années 2000 pour justifier le recours à des prestataires privés tels que le groupe indo-suisse VFS Global (basé à Dubaï). Ce système permettrait, selon les autorités, d’éviter les contacts directs entre les demandeurs et les fonctionnaires de la chancellerie et donc de limiter les possibilités de corruption.

Une certitude : loin d’avoir mis fin à ce fléau, cette privatisation est une charge supplémentaire pour les demandeurs et a permis au Quai d’Orsay d’augmenter ses recettes (...)

Avec « France Visa », une plateforme informatique sur laquelle s’enregistrent les demandeurs, les services consulaires pourraient bientôt voir leur activité principale disparaître. À terme, tous les dossiers devraient être étudiés à Nantes, où se trouve le siège flambant neuf de cette structure créée en 2018.

C’est une manne d’autant plus intéressante que même ceux qui n’obtiennent pas le fameux sésame l’abondent. Contacté, le Quai d’Orsay se réfugie derrière le « code Schengen » (...)

Le sentiment d’avoir été « arnaqué »

À la politique migratoire française particulièrement sévère envers les ressortissants africains s’est ajoutée une autre décision qui a mécaniquement écarté des universités françaises de nombreux étudiants du continent : entre 2018 et 2019, les frais d’inscription pour un étranger sont passés de 243 euros pour une année de cycle « master », à 3770 euros. À cette époque, le gouvernement français avait pourtant envoyé des signaux contraires en affirmant vouloir accueillir 500 000 étudiants étrangers, contre 300 000 auparavant. Selon Campus France, ils étaient 400 000 inscrits lors de la dernière rentrée universitaire, et il y avait parmi eux 150 000 Africains. Mais ce chiffre est un cumul comprenant les étudiants déjà inscrits les années précédentes et les nouveaux arrivants. En réalité, selon nos calculs, seuls 8000 nouveaux étudiants africains ont obtenu leur visa pour venir étudier en France en 2022. (...)

Charles Malinas, ancien ambassadeur de France en Centrafrique, admet dans le livre qu’il vient de publier : « Le formulaire que doivent renseigner les demandeurs est à la fois intrusif et suffisamment ambigu pour qu’un refus puisse être opposé sans véritable motivation. Et les recours, possibles, sont en réalité pratiquement inaccessibles. » (...)

Pour Adama Seck - qui est aujourd’hui enseignant dans son pays -, l’addition fut salée : au coût du visa Schengen (60 euros à l’époque, 80 euros aujourd’hui) se sont ajoutés ceux du prestataire (entre 20 et 30 euros), ainsi qu’une caution de trois mois versée pour une chambre en colocation à Bordeaux (plusieurs centaines d’euros). Il avait également dû fournir une attestation de virement mensuel non révocable de 630 euros (un document qui prouve que l’étudiant disposera des ressources nécessaires pour vivre en France). « C’est un oncle installé en France qui a payé la caution et qui s’est engagé à verser cette somme mensuellement », explique-t-il. Mais, trois ans après sa mésaventure, le sentiment d’avoir été « arnaqué par la France » ne l’a pas quitté. Sentiment aujourd’hui partagé par de nombreux étudiants bloqués dans leur pays