
En France, critiquer la politique du gouvernement est devenu risqué... Arrestations violentes, gardes à vue et procès se multiplient. Nouvel exemple à Nice, avec le procès de Bertrand. En 2019, lors des Gilets Jaunes et des marches pour le climat, il a été interpelé, violenté et humilié par des policiers : mais c’est aujourd’hui lui qui est accusé d’avoir « outragé » ses bourreaux…
Ce jeudi dernier donc, jour pluvieux et gris, j’arrive sur la place du palais de justice, à Nice, pour devinez quoi ? Bien vu, le procès d’un camarade, un évènement qui, sous le règne macronien, fait désormais partie de notre vie quotidienne, à chaque fois pour des raisons plus ou moins farfelues, tant, comme l’ont écrit il y a peu diverses personnalités, dont notre amie niçoise Geneviève Legay, dans une tribune, « en France, en 2020, critiquer la politique du gouvernement, et « prôner la révolution », sont devenus des opinions politiques potentiellement criminelles », avec un gouvernement semble-t-il bien décidé à réactiver les plus belles heures des « lois scélérates ». (...)
Sur les marches du tribunal, je rejoins mon pote Bertrand, dit Tranber, militant gilet jaune et antifa multipoursuivi, qui fume une clope, l’air maussade, tandis qu’on installe les banderoles, la sono, et le barnum pour les quiches et les tartes. « Ça va ? –Mouais… ». Il faut dire que la journée ne se présente pas sous les meilleurs auspices.
Quelques jours auparavant, nous nous étions retrouvé chez moi, dans notre « squat » du Vieux-Nice, pour préparer son procès et faire le point sur les accusations qui pèsent sur lui. En cause, trois affaires, que le procureur général du tribunal de Nice himself a décidé de rassembler en un seul super-procès, fait en soi déjà suffisamment symptomatique du caractère éminemment politique des poursuites.
Le 19 janvier 2019, lors d’un rassemblement devant la mairie de Nice, un mouvement de foule pousse Bertrand sur la lignée de policier ; il se fait alors traîner à part et agresser par une bande de membre de la BAC. Un peu plus tard, devant le contre commercial Nice-Etoile où se trouvent les manifestants, il est cette fois ci brutalement arrêté, se prenant des coups de matraques et subissant des violences lors du trajet vers la cellule de garde à vue, où il est placé pour « attroupement illégal », « menace de crime et délit » et « outrage et rébellion ». Il est accusé d’être demeuré en manifestation après les sommations, ce qui est faux puisque, je m’en rappelle bien, étant présent lors des faits en question, il a été arrêté avant. (...)
des jours et des jours de garde à vue, dans des cellules crasseuses aux murs couverts de merde, en compagnie des rats crevés, des journées au tribunal, les procès étant sans cesse reportés, des dizaines de fois à devoir expliquer à son patron, Tranber étant ouvrier, qu’il ne peut pas venir bosser, et diverses blessures, de la « simple » ecchymose jusqu’aux ligaments arrachés.
Et aucune de ses plaintes, à lui, n’a été reçue.
Et c’est pour tous ces faits, donc, que notre ami se retrouve en audience au tribunal correctionnel de Nice, à nouveau. (...)
suspension de séance. En cause : « le comportement déplacé, et les propos incohérents de la procureure, qui n’arrive plus à aligner deux mots ». Elle agit en effet comme si elle était sous l’effet d’une quelconque substance ou sortait d’un apéro trop arrosé… les avocats s’en émeuvent, et le président s’en retrouve obligé de mettre les choses au point avec elle, en la convoquant dans l’arrière-salle : inutile de dire que, dans ces conditions, la confiance des justiciables quant à la teneur de ses réquisitoires est légèrement ébranlée. Qu’importe : l’alarme sonne, et les audiences reprennent.
C’est maintenant le tour des comparutions immédiate, le temps passe, il est bientôt plus de 17 heures, le couvre-feu approche, et je finis, après en avoir été interdit, quoique ayant mis en avant mon statut de journaliste, sans carte certes –mais j’étais accompagné de mon ami Malsayeur de Mouais, qui quant à lui en possède une- par entrer dans le tribunal. Il aura fallu que je parle « d’entrave à la presse » et que Bertrand intercède auprès de nous, mais passons, nous foulons le sol marbré du palais de justice. (...)
le président a donc ordonné un renvoi au 7 octobre 2021. Dans… 9 mois. Une belle gestation.
Ce qui signifie, pour Bertrand, encore des mois d’angoisse. Comme il me l’a écrit : « Et moi, quand la justice me sera-t-elle rendue ? Qui me paiera mes journées de travail perdus ? Qui dira à mon patron qu’encore une fois il devra se passer d’un ouvrier ? Devrai-je repousser mes projets encore longtemps ? Combien de temps encore vais-je vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ? »
Il conclut tristement : « Personne ne répondra à ces questions, je ne suis même pas encore jugé que ma peine s’alourdit déjà… Pourtant je ne demande pas à être acquitté, ni relaxé, ou encore moins condamné, mais simplement à être jugé… »
Jugé, afin de pouvoir, comme les prévenus du procès des 66 à Lyon, crier devant le tribunal : « Pas de liberté sans égalité ! Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé entre les mains d’une minorité qui va se réduisant tous les jours et où rien n’est également réparti, pas même l’éducation publique, payée cependant des deniers de tous. (...)
Scélérats que nous sommes ! Nous réclamons le pain pour tous, le travail pour tous ; pour tous aussi l’indépendance et la justice » (...)
Mais pour ça, aujourd’hui en 2020, comme en 1883, une seule peine : la traque, la violence, les procès, la prison.
Quand l’histoire repasse les plats, il faut faire attention : le congelé-décongelé, ça peut rendre malade… (...)