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Mediapart
Université : une entreprise adepte de l’optimisation fiscale décroche le marché des tests d’anglais
Article mis en ligne le 16 février 2021

Le gouvernement vient de confier l’organisation de tests d’anglais à l’université à une entreprise à la légitimité contestée, immatriculée à Chypre et adepte de l’optimisation fiscale, pour plus de 8 millions d’euros par an. Au grand dam du corps enseignant.

Dans les facs vidées par le Covid-19 et qui se sentent abandonnées par l’État, l’attribution d’un marché public, fin décembre, a fait l’effet d’une petite bombe chez les enseignants en langue. L’objet de ce marché estimé à plus de 8 millions d’euros par an : l’organisation de tests et certifications en anglais pour des centaines de milliers d’étudiants en licence, BTS ou DUT.

Si quatre entreprises s’affrontaient au départ, le duel final a opposé ETS Global, une société qui fait référence (à l’origine du célèbre test Toefl), à PeopleCert, une entreprise fondée par un homme d’affaires grec et inconnue de la quasi-totalité des linguistes en France.

Si ETS Global était devant, PeopleCert a cassé ses tarifs de 34,72 % pendant la phase de négociation avec le ministère de l’enseignement supérieur, d’après nos informations, pour emporter finalement le contrat.

« La première chose que j’ai faite quand j’ai entendu ce nom, c’est d’aller voir leur site, qui comporte des fautes d’orthographe que je reprocherais à mes étudiants ! », raille Alexandra Sippel, maîtresse de conférences en cultures anglo-saxonnes à l’université Toulouse-Jean-Jaurès.

Le choix de l’État est d’autant plus étonnant que PeopleCert pratique l’optimisation fiscale agressive, selon des documents consultés par Mediapart. (...)

PeopleCert International Limited, l’entité qui a signé avec le ministère, est la société de tête d’un groupe qui en compte une dizaine (à Athènes, Londres, Istanbul ou Dubaï). Elle est immatriculée à Chypre, paradis fiscal européen très prisé, notamment des oligarques russes.

C’était, lors de sa création, une société « boîte aux lettres » basée à l’adresse d’un cabinet de domiciliation chypriote. Elle contrôle deux sociétés britanniques, mais qui ne salarient que 8 personnes.

En réalité, l’essentiel du travail est effectué par les sociétés grecques du groupe, dont la principale, PeopleCert Global Services, employait 210 personnes en 2017 – en Grèce, le salaire minimum est presque deux fois moindre qu’en France.

Étonnamment, PeopleCert Global Services réalisait seulement 412 000 euros de résultat pour 9,2 millions de chiffre d’affaires en 2018, tandis que la coquille chypriote PeopleCert International engrangeait 3,4 millions d’euros de profits.

Il faut dire que les statuts de l’entité grecque autorisent deux des directeurs (dont le fils du fondateur) à effectuer « le transfert de n’importe quelle somme d’argent illimitée » vers les autres sociétés du groupe. En clair, le montage semble conçu pour transférer artificiellement les profits vers ce paradis fiscal.

Entre 2015 et 2019, PeopleCert International a accumulé plus de 15 millions d’euros de bénéfices à Chypre, où le taux habituel de l’impôt sur les sociétés n’est que de 12,5 %, soit trois fois moins qu’en France. (...)

le ministère de l’enseignement supérieur déclare à Mediapart que, Chypre étant membre de l’Union européenne, « l’implantation géographique du titulaire [du marché – ndlr] et de ses salariés n’a pas été prise en compte dans l’analyse des offres », car cela aurait été contraire au droit. Sur l’optimisation fiscale ? Aucun commentaire.

Le fondateur grec du groupe, Anastasios Byron Nikolaides, soigne aussi sa fiscalité personnelle. (...)

Édouard Philippe, premier ministre, a décidé qu’une certification en langue serait obligatoire pour toute une série de diplômes (licence, BTS, DUT…) et a jugé indispensable de contracter avec un prestataire privé, au motif que le Cles manquerait de reconnaissance internationale. (...)

Édouard Philippe, premier ministre, a décidé qu’une certification en langue serait obligatoire pour toute une série de diplômes (licence, BTS, DUT…) et a jugé indispensable de contracter avec un prestataire privé, au motif que le Cles manquerait de reconnaissance internationale. (...)

Depuis, la communauté universitaire est vent debout, dénonçant ici « une gabegie annoncée », là « une démonétisation des enseignements et diplômes accrédités par l’État », ou encore une « atteinte au plurilinguisme ». En septembre dernier, quinze associations de professeurs de langue ont lancé un recours devant le Conseil d’État contre les textes rendant ces certifications obligatoires.

Fin janvier, les mêmes ont attaqué l’attribution du marché à PeopleCert. « La question de la légitimité de cette entreprise se pose, de même que la question de la pertinence des critères d’attribution du marché et des modalités de sélection de l’entreprise retenue », écrivent-elles dans un communiqué.

« Conclu sans montant maximum », le marché est reconductible tacitement chaque année jusqu’en 2024. Or, s’il s’agit de tester 22 000 étudiants en 2021, le volume doit gonfler à 281 000 étudiants « minimum » sur l’année universitaire 2023-2024. D’après les estimations de deux maîtresses de conférences, le coût pour l’État pourrait alors dépasser 32 millions d’euros par an. « [C’est] la moitié de l’enveloppe supplémentaire dévolue en 2020 à l’amélioration des conditions de vie étudiante », pointent-elles.

Compte tenu de l’arrivée récente de PeopleCert dans l’univers des langues, sa victoire n’a fait qu’alimenter la controverse.

Plutôt que de développer son offre, PeopleCert a fondé son business sur le rachat de certifications développées par d’autres.

L’entreprise a adopté la même stratégie pour se diversifier dans les langues, avec sa marque LanguageCert.

Pour asseoir sa légitimité, PeopleCert s’est aussi payé un grand nom du secteur : Michael Milanovic, ancien PDG de Cambridge Assessment, qui baigne dans le milieu depuis plus de quarante ans.

« Ils veulent se crédibiliser, mais leurs certifications en anglais sont des coquilles vides, confie Brice*, sous le couvert de l’anonymat, figure du secteur qui a côtoyé de près PeopleCert. On y voit bien leur philosophie : une plateforme qui délivre des examens créés par d’autres, mais pas un organisme de recherche et développement. Où sont les employés qui développent les items des tests de langues, où sont les psychomotriciens et statisticiens qui valident que la notation évalue bien ce qu’elle est censée évaluer ? »

Cambridge Assessment et le leader du marché, ETS Global, emploient des dizaines de chercheurs pour développer et améliorer en permanence leurs systèmes de certification. Un coût que s’épargne PeopleCert avec sa stratégie de rachat.

Malgré tout, le bilan de LanguageCert reste maigre, avec seulement une poignée de contrats signés ces dernières années (...)

Et en France ? L’entreprise a fait passer « 15 000 certifications pour l’année 2020, majoritairement par l’intermédiaire de ses 90 organismes de formation agréés sur 170 lieux d’examen », expose PeopleCert. Sans préciser s’il s’agit de tests d’anglais.

Pour tenir le rythme, la société va devoir changer de braquet, puisque le marché signé avec le ministère prévoit la délivrance de 636 000 tests minimum sur quatre ans, soit un rythme annuel dix fois plus élevé que le total des tests réalisés en 2020 par la société en France.

Le vice-président de la Société des anglicistes de l’enseignement supérieur, Cédric Sarré, s’interroge : « Ont-ils des examinateurs accrédités en France ? Des centres d’accréditation ? Leurs certifications sont-elles déjà utilisées par d’autres universités ? À ce stade, nous n’avons pas d’informations. » (...)