
L’un des bâtiments de l’université Paris-Est Créteil est dans un tel état que 800 étudiantes de licence ont dû passer aux cours en distanciel en début d’année. La présidence renvoie la faute sur le propriétaire, sans nier ses difficultés financières.
(...) Il fait trop froid pour pouvoir faire cours. Lors de la cérémonie des vœux de l’université Paris-Est Créteil (UPEC), les personnels ont reçu des plaids en cadeau, certains appréciant moyennement le clin d’œil, eux qui alertent régulièrement sur leurs conditions de travail. « On branche des chauffages d’appoint, parfois toute la journée, et on travaille avec nos manteaux et des bonnets, se désole un membre de l’équipe administrative. Le bâtiment Pyramide porte bien son nom, il tombe en ruine... » (...)
Le 2 janvier 2022, le plafond d’un bureau de quatre enseignants-chercheurs s’est en partie effondré, abîmant des armoires pleines de matériel et les ordinateurs. Le bâtiment est dans un tel état que, depuis des années, il est fréquent de voir des seaux dans les couloirs. Plusieurs dalles de faux plafonds ont été défoncées par ces infiltrations, des sanitaires sont hors-service. (...)
« L’été, on crève de chaud, l’hiver, on meurt de froid », résume un membre du personnel, qualifiant cette construction des années 70 de « catastrophique passoire thermique ». Sans parler de la connexion internet, très défaillante, et de salles de cours de plus de cent places sans sonorisation.
Fin janvier, dans une pétition, enseignant·es et étudiant·es ont demandé « le relogement immédiat de tous les occupants du site » et ont fait état de leur colère face à ce distanciel forcé, se désolant « d’une université à deux vitesses ».
Difficile d’imaginer que pour ces 700 mètres carrés vétustes, l’université Paris-Est Créteil verse chaque année un loyer de près de deux millions d’euros à un propriétaire privé. « Ce prix correspond à la tranche haute du prix du mètre carré pour le tertiaire au centre de Créteil, explique Julien Aldhuy, vice-président de l’UPEC chargé des questions bâtimentaires. En effet, c’est cher au vu du service que rend le bâtiment. »
La direction de l’UPEC ne nie aucun de ces problèmes, mais fait état de son impuissance (...)
Pendant longtemps, l’université a choisi la voie amiable pour tenter de résoudre la situation, renouvelant ce bail au prix colossal sans fléchir. Fin décembre, l’UPEC a finalement lancé une procédure judiciaire contre le propriétaire du bâtiment Pyramide, s’engageant, de son propre aveu, dans une procédure longue et coûteuse. Elle table sur un départ définitif des lieux. (...)
La construction d’un bâtiment neuf dédié aux sciences humaines, au cœur d’un vaste projet de réaménagement urbain, est au programme, pour un emménagement en 2027, affirme la présidence. À court terme, « on est en train d’organiser un processus de relocalisation des enseignements de la licence sciences de l’éducation dans d’autres bâtiments des campus, à 10-15 minutes à pied, de manière que les étudiants puissent revenir en présentiel, annonce Julien Aldhuy. Les étudiants de master resteront à Pyramide, dans les étages chauffés ».
Si les facs alentour se vident traditionnellement un peu de leurs étudiant·es au deuxième semestre, libérant quelques places, la prochaine rentrée de septembre s’annonce chaotique, s’inquiètent les membres de l’équipe pédagogique.
Surtout, cette décision intervient trop tard, dénonce le personnel. Luc Pellissier, maître de conférences à la fac de droit voisine, siège au sein du comité social d’administration de l’UPEC et à la commission santé et sécurité. « Depuis dix ans, on parle de l’état lamentable de ce bâtiment. Et dès qu’on soulève le problème, la présidence nous répond : “On va quitter Pyramide !”, comme si ça allait tout résoudre par magie. »
L’université, s’inquiètent les syndicats, ne pourra se lancer dans une nouvelle construction sans une « grosse rallonge de l’État », pour l’heure incertaine. (...)
Fatoumata Diaklo, 22 ans, assure qu’il ne s’agit pas que « d’une histoire de chauffage ». Le bâtiment Pyramide ne dispose d’aucune bibliothèque ou de salle d’études, les locaux ouvrent à 8 h 30 et ferment avant 17 heures. « Moi, j’aime les univers studieux, avoir une bibliothèque où travailler, de la lumière, ça change tout. Franchement, cela crée beaucoup de démotivation d’étudier dans un endroit pareil. »
« On n’a pas envie d’être là », ajoute Sarah Monnier, une de ses camarades de promotion. Pour beaucoup, issues d’autres cursus à travers la région parisienne, l’arrivée en master à Pyramide fut « un choc », surtout au regard de la fac de droit toute proche, quasi neuve. De quoi nourrir le sentiment que les études en sciences de l’éducation « valent moins », s’offusque Léna Chatonnay. (...)
Pyramide, au sein de la gigantesque université UPEC (43 000 étudiant·es dans 56 bâtiments sur tout le quart est, au-delà de Paris) n’est pas totalement une exception. (...)
Comme pour les lycées délabrés d’Île-de-France (lire aussi notre enquête sur la gestion de Valérie Pécresse), l’université française souffre d’un manque de moyens notoire. Elle est confrontée désormais à une crise énergétique sans précédent. En septembre, plusieurs d’entre elles ont tout bonnement choisi de fermer leurs portes ou de réduire les temps d’accès, afin d’économiser sur la facture de chauffage. (...)