
Depuis des mois, les habitant.e.s de Beita sont engagé.e.s dans une lutte féroce – et farouchement créative – contre la colonie israélienne illégale qui menace leur village.
Mohammed El-Kurd, 15 septembre 2021
Beita, Palestine — L’horloge indique presque 22 heures. C’est un dimanche soir du mois d’août et les habitant.e.s de ce village palestinien du nord de la Cisjordanie occupée se rassemblent au mont Sabih, où un avant-poste de peuplement illégal a été installé au début mai. Elles et ils se préparent pour ce qu’elles et ils appellent les « perturbations nocturnes », un rituel de résistance qui n’a pas cessé un instant, mais qui a évolué sans arrêt depuis une centaine de jours. Son but est de rendre insupportable le séjour des colons sur leurs terres.
Plus d’une centaine de personnes se sont rassemblées au sommet de la montagne, ce soir. Des enfants évoluent çà et là avec des torches artisanales. Des hommes de près de 80 ans sont assis jambes croisées sur de gros rochers et pointent des rayons laser d’un vert brillant sur l’avant-poste. Quelques jeunes s’entraînent avec leurs catapultes. D’autres brûlent des pneus. D’autres encore scandent des slogans. De temps à autre, on entend une explosion dans le lointain, parfois il s’agit d’une bombe incapacitante israélienne, parfois d’un fût industriel que les défenseur.euse.s font sauter pour surprendre les militaires. Un homme se balade à la ronde, proposant du café et de l’eau à la foule. On entend quelques rires, qui retombent lentement au fur et à mesure que les Défenseur.euse.s de la montagne arrivent sur les lieux.
« Nous sommes les enfants de Beita, les Défenseur.euse.s de la montagne », dit l’un d’eux, qui doit avoir un peu plus de trente ans et dont le visage est emballé dans un keffieh afin de dissimuler son identité. « Nous nous défendons, nous et nos terres, contre les bandes de colons qui viennent les voler avec la protection des soldats de l’Occupation et de leur État fasciste. »
Quelques caméras enregistrent le laïus du défenseur, qui se fait l’écho, d’une certaine façon, d’un refrain palestinien familier : Il énumère les distinctions nécessaires entre le colonisateur et les autochtones et il condamne le rôle des médias qui masquent une réalité explicitement asymétrique. (...)
Le mouvement de protestation à Beita aujourd’hui rappelle la Première Intifada de la Palestine et les images du village aujourd’hui reflètent celles des années 1980 : des jeunes portant des jeans brûlent des pneus et jettent des pierres, marchant torse nu vers les soldats armés d’impunité et d’armes américaines.
Comme des milliers de gens, j’ai suivi leur histoire sur les médias sociaux où la campagne #SaveBeita (préservez Beita) a attiré de plus en plus de monde et a entretenu un soutien massif aux Défenseur.euse.s de la montagne à Beita. Les médias traditionnels, d’autre part, ont eu tendance à ignorer cette histoire – jusqu’à ce que, inévitablement, les troupes israéliennes tuent un résident de la localité. Les Palestinien.ne.s ne figurent dans les gros titres que comme victimes ou comme voyous, et rarement en combattant.e.s de la liberté agissant politiquement. (...)
Ce modèle de résistance mérite ses propres gros titres. Il est infatigable, commun et ne recule pas. Il a également fait pencher la balance dans une situation apparemment impossible. En juillet, les colons ont évacué le lieu en réponse aux protestations incessantes. Alors que les camping-cars des colons restent intacts et gardés de très près et que le régime israélien se demande s’il va décréter que la terre est une zone appartenant à l’armée, les gens de Beita ont exprimé le désir de ne pas cesser de résister tant que le mont Sabih ne serait pas libéré. (...)
Pourtant, on ne peut pas nier que le prix de la résistance à Beita a été élevé. Les autorités d’occupation israéliennes ont riposté aux protestations du village par des arrestations massives et toute une répression violente, tuant sept Palestiniens, dont deux enfants. Selon le Dr Mohammad Al-Adel de l’hôpital de Rafidya, l’hôpital le plus proche de Beita, les forces israéliennes ont blessé plus de 3 000 Palestinien.ne.s à Beita depuis le début des protestations, dont une grande partie à balles réelles. On a rapporté à diverses reprises que les militaires s’en prenaient également à des ambulances.
Même ainsi, la ville, s’il faut en croire la bonne dizaine de personnes avec lesquelles je me suis entretenu, semble appuyer les protestations, pleinement et unanimement, rassemblant ses ressources en direction du projet commun de défense de la montagne. (...)
Au cœur de cette résistance, on trouve un mélange de discipline et de créativité. Les Défenseur.euse.s de la montagne sont divisé.e.s en unités non hiérarchisées, qui recourent à diverses tactiques pour perturber l’activité des colons dans le poste avancé : l’Unité du Caoutchouc, qui brûle des pneus ; l’Unité des Cuivres, qui provoque des bruits assourdissants ; l’Unité du Laser, qui projette des lumières ; l’Unité de Reconnaissance ; et l’Unité des Feux d’artifice. Elles et ils avaient même une Unité des Barbiers, qui coupait les cheveux gratuitement au sommet de la montagne. Et les enfants de la ville ont contribué elles et eux aussi. « L’Unité des Torches – c’est un gamin de 12 ans qui est monté avec celle-ci », m’explique un homme. (...)
Au fil des années, partout en Palestine, la « résistance rude » a grandement été déformée par des décennies de diabolisation et de représentation volontairement faussée. Quand c’est le tueur qui doit répondre aux questions sur le massacre, les soulèvements deviennent des « confrontations », les pierres deviennent équivalentes à des armes automatiques, la résistance est calomniée en tant que terrorisme et l’histoire et le contexte sont rejetés sous le paillasson. Mais, cet été, Beita a revendiqué pour elle-même l’image de la combattant.e palestinien.ne pour la liberté – et l’a réintroduite pour celles et ceux qui étaient venu.e.s observer. (...)
« Nous voyons de ce que les colons ont fait à d’autres villages. Un colon peut bouter le feu à la maison d’un Palestinien et s’en aller tranquillement » déclarait Baraa Hussein, un photographe de 23 ans, faisant allusion à l’incendie en 2015 de la maison de la famille Dawabsheh, du proche village de Douma, incendie dans lequel tou.te.s les membres de la famille avaient péri, sauf un. « Nous ne voulons pas que ce soit notre réalité. » (...)