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Une histoire populaire de la France : « On a raison de se révolter »
Rencontre avec Michelle Zancarini-Fournel
Article mis en ligne le 8 août 2019
dernière modification le 7 août 2019

Il est des livres rares qui vous saisissent par la richesse de leur propos, la puissance du verbe, le souffle émancipateur. Les Luttes et les Rêves – Une histoire populaire de la France, de 1685 à 2005, de Michelle Zancarini-Fournel, est un ouvrage érudit et accessible, fourmillant d’anecdotes. On peut le lire d’un trait. Ou y revenir et le consulter à la manière d’une encyclopédie du peuple d’en bas. Incontournable !

« J’ai dit d’emblée à La Découverte que je refusais de commencer par « Nos ancêtres les Gaulois ». Par ailleurs, mes connaissances en histoire médiévale ne sont pas suffisantes pour aborder cette période-ci. Lors de sa parution en français en 2002, j’avais lu Une histoire populaire des États-Unis, d’Howard Zinn (Agone) et m’étais dit qu’il faudrait proposer désormais une histoire populaire de la France. Écrire une histoire pour tous, cela me préoccupe depuis très longtemps. Je n’ai pas relu l’Histoire populaire de Zinn, ne voulant pas la décalquer. Pour autant, je me souviens qu’il entame son histoire en 1492, j’ai donc cherché une date en lien direct avec l’esclavage et la colonisation et j’ai pensé au Code noir. J’ai également cité l’arrêté sur les mendiants. J’ai voulu montrer les différents types de résistances au pouvoir absolutiste et ce, en partant du quotidien, le plus souvent possible. (...)

Il n’était pas question pour moi de rédiger une histoire sainte du peuple. Il faut rendre compte des moments sombres, puisque c’est ainsi que cela s’est passé. J’ai fait un passage important sur la décennie xénophobe et antisémite et j’ai découvert des choses qui m’ont bouleversée. À quel point des théoriciens syndicalistes et socialistes, sur la longue durée du XIXe siècle, ont été antisémites. Un antisémitisme qui s’appuyait sur l’idée que le capitalisme est lié au judaïsme, le tout exprimé en des termes très lourds. J’ai également découvert des textes effrayants de Jaurès, que je cite un peu. J’ai tout vérifié. Il ne suffit pas de dire qu’il s’agissait de l’air du temps. Un grand tribun socialiste comme Jaurès a fait preuve de conformisme antisémite. Ce qui explique pourquoi il s’est mis si tardivement à défendre Dreyfus. Ce que j’écris n’est pas toujours gai, je le sais.

(...)

J’ai tenu à rendre visible l’histoire des femmes, mais à condition qu’elle soit intégrée. J’ai procédé de la même façon pour les colonisé-e-s : on ne fait pas une histoire séparée. D’ailleurs, dans des textes syndicaux datés de 1904, ce qui se passait à La Martinique était mis en avant. (...)

l’idée de faire une histoire d’en bas vient de loin. Ce sont tous ces récits qui ont construit mon imaginaire, avec d’une part ma famille maternelle, relativement aisée, et ma famille paternelle d’ouvriers pauvres vivant à sept dans un deux-pièces sans accès à l’eau courante. J’ai été consciente très rapidement de la distinction sociale, qui a forgé ma propre conception de l’histoire sociale. Le reste, ça a moins d’importance, j’en parlerai peut-être plus tard. Dans tous les cas, je suis persuadée qu’on a raison de se révolter. Et tous mes objets de recherche, sur 68 et sur le féminisme, s’inscrivent dans cette généalogie. » (...)