
Jacques de Groote, ex-directeur exécutif du FMI (1973-1994) et de la Banque mondiale (1975-1991) représentant la Belgique, est dans le collimateur de la justice suisse. D’après le quotidien genevois Le Temps, il est poursuivi par la justice suisse pour « blanchiment d’argent aggravé », « escroquerie », « faux dans les titres » |1|. Six citoyens tchèques (dont un est décédé en mars 2013) sont également poursuivis pour les mêmes motifs.
L’affaire porte sur la privatisation frauduleuse de MUS (Mostecká uhelná spolecnost), une des principales mines de charbon de République tchèque à la fin des années 1990. « Les sept accusés auraient profité de la privatisation de cette mine du nord du pays – dont la houille servait alors à produire 40% de l’électricité tchèque – pour s’enrichir illégalement grâce à une architecture complexe de sociétés-écrans internationales. » |2|
En lien direct avec cette affaire, depuis 2008, la justice suisse a fait bloquer 660 millions de francs suisses (540 millions € ou 705 millions US$) sur des centaines de comptes bancaires différents. Le procès qui a commencé le 13 mai 2013 à Bellinzona dans le Tessin suisse fait suite à six ans d’enquête menée par trois procureurs fédéraux, qui ont identifié une soixantaine de sociétés-écrans, dont certaines sont basées à Fribourg, au Liechtenstein et à Chypre.
Jacques de Groote affirme : « Je n’ai aucune raison de plaider coupable, ni hier ni aujourd’hui » |3|. Sans préjuger de la sentence qui sera rendue par la justice suisse au cours de l’été 2013, il est intéressant de se pencher sur la trajectoire de Jacques de Groote, aujourd’hui âgé de 86 ans, car il constitue une figure emblématique du FMI et de la Banque mondiale. Il y a un lien entre son rôle dans ces institutions et l’affaire dont s’est saisie la justice suisse. (...)
Alain Aboudaram, le directeur d’une société suisse s’estimant floué par Jacques de Groote, est à l’origine de la dénonciation de celui-ci et des autres accusés. C’est lui qui, en 2004, a fourni à la justice suisse toute une série d’informations précises concernant une vaste opération de blanchiment d’argent. Ce qui est tout à fait intéressant dans cette affaire, c’est ce que révèlent plusieurs sentences émises par la justice des Etats-Unis dans un litige qui a opposé Alain Aboudaram et Jacques de Groote |8|. On y apprend notamment que Jacques de Groote a été rétribué par la société d’Alain Aboudaram pour l’aide apportée dans la réduction des charges fiscales que devait supporter la société Skodaexport. Cette société, dans laquelle Alain Aboudaram avait directement des intérêts, a obtenu de la Banque mondiale, grâce à l’aide de Jacques de Groote, un contrat pour la construction d’un pipeline en Inde |9|.
La sentence de la justice des États-Unis indique très clairement que Jacques de Groote a reçu de la société d’Alain Aboudaram une importante rémunération en contrepartie, ce que Jacques de Groote a d’ailleurs reconnu. (...)
Vous pensez à du trafic d’influence ? Cela se défend. Néanmoins, la justice des États-Unis a considéré que les actes posés par de Groote n’étaient pas répréhensibles. La Banque mondiale n’a rien trouvé à redire non plus. Le discours sur la bonne gouvernance concerne les dirigeants des pays du Sud, pas les (anciens) dirigeants de la BM et du FMI (...)
En décembre 1990, le Wall Street Journal publie les résultats d’une longue enquête de sa rédaction à propos de Jacques de Groote alors directeur exécutif au FMI et à la Banque mondiale |11|. Le journal considère que de Groote a usé systématiquement de son influence au sein du FMI et de la BM pour servir les intérêts du dictateur Mobutu. La rédaction considère qu’il y a conflit d’intérêt : de Groote aurait tiré des avantages financiers de sa fonction. Le quotidien financier affirme également que de Groote a obtenu un bénéfice de son action au sein de la BM et du FMI en ce qui concerne le Rwanda. La direction de la Banque mondiale et du FMI n’ont là aussi rien trouvé à redire. Cette affaire a fait couler beaucoup d’encre à l’époque. Le Soir, le quotidien belge francophone de référence, lui a consacré plusieurs articles |12| et Jacques de Groote s’en est finalement très bien sorti. Le Soir a été assez complaisant, sans parler du quotidien La Libre Belgique qui appartenait à sa famille politique (le Parti Catholique, devenu Parti Social Chrétien).
Il faut dire qu’il dispose de nombreux appuis dans l’establishment, en Belgique et ailleurs. Cela lui a permis à chaque fois de passer entre les mailles du filet de la justice.
Jacques de Groote collectionne les décorations officielles (...)
Le CADTM a interrogé à deux reprises le représentant actuel de la Belgique à la Banque mondiale, Gino Alzetta, à propos du comportement de J. de Groote. La première fois, c’était en 2006 quand le CADTM a pris connaissance des raisons pour lesquelles de Groote faisait l’objet d’une plainte aux Etats-Unis de la part d’Alain Aboudaram. La deuxième, c’était en mai 2013 en réaction au procès qu’intente la justice suisse contre de Groote et 6 citoyens tchèques. Dans les deux cas, Gino Alzetta a affirmé qu’il ne voyait rien de répréhensible dans le comportement de J. de Groote. De même, la Belgique n’a jamais pris ses distances par rapport à de Groote. N’est-ce pas parce que celui-ci a fondamentalement défendu certains intérêts de la Belgique sur la scène internationale ?
Passons en revue la biographie de J. de Groote et mettons-la en relation avec les évènements qui ont secoué la vie politique et sociale au Congo et au Rwanda. (...)
Utilisation des prêts internationaux pour préparer le génocide
Quelques semaines avant le déclenchement de l’offensive du Front Patriotique Rwandais (FPR) en octobre 1990, les autorités rwandaises signent avec le FMI et la BM à Washington un accord pour mettre en œuvre un programme d’ajustement structurel (PAS). (...) Pour justifier l’utilisation des prêts du couple BM/FMI, le Rwanda est autorisé par la BM à présenter d’anciennes factures couvrant l’achat de biens importés. Ce système a permis aux autorités rwandaises de financer l’achat massif des armes du génocide. (...)
Au-delà des péripéties de son parcours personnel, Jacques de Groote symbolise les aspects profondément néfastes des politiques appliquées de manière méthodique par la Banque mondiale, le FMI et l’élite qui gouverne le monde à la recherche du profit privé maximum. La cupidité se mêle, de manière révoltante, à la violation des droits humains fondamentaux.