
Double article @humanite_fr
➡️ITW de @ElsaFaucillon par @RuscioLola : "l'argent public finance les plans sociaux" https://t.co/y30kps0nwT
➡️article de Pierric Marissal sur le lancement de la commission : "où sont les 400 milliards d'aides au privé ?" https://t.co/PvftAswCVd pic.twitter.com/CHFU7cO0Sg— Maxime Combes #AlloBercy (@MaximCombes) December 3, 2021
Une commission d’enquête pour lever le mystère des aides publiques au secteur privé
Des élues et l’Observatoire des multinationales ont lancé ce mardi 30 novembre une commission pour évaluer et tracer les aides publiques au secteur privé. Une initiative importante qui peut ouvrir la voie à une réflexion sur le capitalisme contemporain (...)
Depuis mars 2020 et le début de la crise du coronavirus, l’État a joué le rôle d’assureur en dernier ressort de l’ensemble de l’économie marchande. Les pouvoirs publics ont ainsi déversé aux entreprises pas moins de 240 milliards d’euros directement, chiffre auquel il faut ajouter près de 300 milliards d’euros de prêts garantis et un montant de près de 200 milliards d’euros pris en charge par les assurances sociales et l’Unédic au titre du chômage partiel. Cette masse considérable a été attribuée au nom de l’emploi, mais n’a fait l’objet d’aucune conditionnalité. (...)
Deux poids, deux mesures
Pendant que les politiques néolibéraux passent leur temps à traquer les fraudes sociales et à faire pression sur les transferts aux ménages au nom de la « bonne gestion », ils distribuent des centaines de milliards d’euros sans condition et sans contrôle aux entreprises privées. Car, et c’est là le fond de ce qu’il est bien convenu d’appeler un scandale, l’évaluation même de ces aides est un des mystères les mieux gardés de la République. Il n’existe aucun cadre officiel concernant l’examen de la loi de finances pour les connaître et les évaluer. (...)
rien n’a été mis en avant pour identifier les subventions, aides, niches fiscales et soutiens au secteur privé. C’est une myriade de mesures réparties sur les deux lois de finances et ainsi invisibilisée.
C’est pourquoi l’Observatoire des multinationales a pris l’initiative d’organiser une commission d’enquête sur les aides publiques au secteur privé. « Nous sommes partis de notre travail et nous avons contacté les parlementaires qui avaient mené la bataille de la conditionnalité au Parlement », résume Maxime Combes, un des responsables de l’association. L’initiative a été reprise par plusieurs élues. Ce 30 novembre, elles étaient cinq à présenter le lancement d’une commission « parlementaire et citoyenne » au Palais-Bourbon, regroupant toutes les sensibilités à la gauche de la majorité parlementaire. (...)
Une telle unanimité politique ne reflète pas réellement un accord sur les aides publiques en soi, mais plutôt sur les moyens de contrôle et la conditionnalité des aides. (...)
La commission d’enquête présentée ce 30 novembre ne sera cependant pas une commission d’enquête officielle, le règlement de l’Assemblée ne le permet pas. C’est donc une commission ad hoc ne disposant pas des moyens du Parlement et regroupant non pas des élus de tous les groupes, mais des élus volontaires et des représentants de la société civile. Parmi ces derniers, on trouvera, outre deux représentants de l’Observatoire des multinationales, un syndicaliste de la DGFiP, un membre d’Anticor et de France nature environnement, ainsi que deux économistes, Thomas Coutrot et Nadine Levratto (dont on peut lire ici un entretien sur le sujet des aides d’État) et une juriste, Amélie Canonne. L’objectif de cette commission est de remettre un « livre blanc » sur le sujet début mars pour permettre un débat dans le cadre de la campagne électorale présidentielle.
Une commission pour lever le voile sur une logique néolibérale
Quoique non officielle, cette commission semble cependant hautement utile, à plusieurs titres. (...)
l’enjeu de cette commission, et ce sera son autre intérêt majeur, sera de mettre au jour le fonctionnement du néolibéralisme, trop souvent identifié dans les milieux politiques à un simple « radicalisme de marché ». Le travail hautement important d’évaluation du soutien public au secteur privé en régime de croisière va permettre une prise de conscience de la vassalité de l’État par rapport aux entreprises et notamment aux grands groupes. (...)
prendre l’argent de l’État en réclamant la destruction de l’État social. Une vision qu’a parfaitement résumée Émilie Cariou : « La droite française déteste l’impôt, mais adore l’argent public. » Une telle prise de conscience ouvre un champ politique nouveau, à condition, évidemment, d’en tirer les conséquences, on le verra.
Il s’agira aussi d’examiner de près la prétendue efficacité de ces aides au regard de l’intérêt général. (...)
Mais l’enjeu de cette commission ne peut pas être que celle de l’évaluation.
Réfléchir à l’évolution récente du capitalisme
Car la dernière utilité de cette commission réside dans l’analyse de l’évolution récente du capitalisme. Comme on l’a défendu souvent dans ces pages (par exemple ici), la crise du coronavirus ouvre une nouvelle phase où l’État est désormais une forme d’assureur en dernier ressort de la rentabilité et de l’existence des entreprises. Le formidable soutien public, au nom de l’emploi, de l’outil productif existant en 2020 pourrait agir comme un précédent. (...)
Réfléchir à l’évolution récente du capitalisme
Car la dernière utilité de cette commission réside dans l’analyse de l’évolution récente du capitalisme. Comme on l’a défendu souvent dans ces pages (par exemple ici), la crise du coronavirus ouvre une nouvelle phase où l’État est désormais une forme d’assureur en dernier ressort de la rentabilité et de l’existence des entreprises. Le formidable soutien public, au nom de l’emploi, de l’outil productif existant en 2020 pourrait agir comme un précédent. À chaque ralentissement, à chaque crise, l’État viendra se substituer à l’économie marchande pour éviter faillites et baisses de rentabilité.
Les évolutions récentes viennent confirmer cette évolution. Lorsque Bercy a annoncé en grande pompe la fin du « quoi qu’il en coûte » début octobre, il a néanmoins laissé un grand nombre de dispositifs d’aides en place. Progressivement, on est passé d’un soutien pour faire face à des fermetures administratives à des aides venant compenser des pertes possibles de chiffres d’affaires pour d’autres raisons, comme la mise en place du passe sanitaire. Récemment, Bruno Le Maire a même laissé entendre qu’il entendait mettre en place des aides pour faire face aux difficultés d’approvisionnement. Autrement dit, la pratique du soutien public au privé est désormais, dans les faits, élargie à d’autres risques qu’aux fermetures décidées directement par l’État (et qui pourraient justifier une compensation directe), et notamment à des risques économiques (baisses de la demande liée au passe sanitaire ou problème de chaînes logistiques). La mise en place de l’activité partielle de longue durée (APLD), dispositif pérenne de chômage partiel (favorisant par ailleurs des accords d’entreprise de compétitivité défavorable au travail), avait montré la voie.
La question du soutien public est donc celle d’une forme de garantie donnée à la rentabilité des entreprises. Dans ce cadre, les promesses du gouvernement de mars-avril 2020 de demander une modération sur les dividendes ont fait long feu : les profits étant assurés, les dividendes ont suivi, ainsi que les programmes de rachats d’actions. (...)
Aider les entreprises étant très coûteux, la seule solution pour financer ce « Corporate Welfare » serait alors de couper dans les aides sociales. Avec une logique simple : l’État assurant l’emploi en assurant les entreprises, il revient aux salariés d’assurer eux-mêmes leur protection sociale. Derrière les aides publiques massives et généralisées, il y a donc toujours la même obsession néolibérale : la destruction de l’État social et sa privatisation.
La tâche de la commission sera donc aussi de construire un autre récit, alternatif à celui du néolibéralisme en crise. (...)
Si donc cette commission veut aller au bout de ses travaux, il va lui falloir aborder les moyens de contourner ou de supprimer ce chantage à l’emploi et cette confusion sur la fonction sociale de l’entreprise. Pour cela, il faudra sans doute aussi se débarrasser de certains mythes qui semblent encore peser sur certaines élues membres de la commission : tel celui de PME qui incarneraient un « capitalisme bienveillant » qui s’opposerait à un « capitalisme rapace » des multinationales. Mais si des liens d’exploitation et de domination existent au sein du capital, la logique en jeu est bien la même (...)
La réflexion ne pourra donc pas s’arrêter à un simple décomptage ou à la proposition d’un « comité de suivi » des aides. Il faudra s’interroger sur la nature de ces aides dans le contexte d’un capitalisme en pleine mutation. Ce sera la tâche de cette commission dont l’utilité publique ne doit cependant pas faire de doute. Quant au refus de la majorité et de la droite de s’y associer, il affirme avec évidence une nouvelle ligne de rupture politique dont, là encore, il conviendra de tirer les leçons.