A l’occasion de la journée des aidants, dimanche, « Libé » s’est rendu à Tassin-la-Demi-Lune, près de Lyon, où a été créé un lieu pour soulager un temps les proches accompagnant une personne dépendante. A l’instar de Jean-Claude Gondin, dont l’épouse est atteinte de sclérose en plaques depuis huit ans.
Colette est atteinte de sclérose en plaques, une dégénérescence du système nerveux. Elle s’est d’abord signalée par des chutes inexpliquées quand Colette approchait la soixantaine. En 2011, elle a été admise à l’hôpital pour une batterie d’examens. Durant son séjour, la sclérose a fait une poussée.
« Elle est ressortie dans un fauteuil roulant, retrace Jean-Claude. Je me suis retrouvé avec une personne qui ne pouvait plus se déplacer, ni parler, qui avait des troubles de l’équilibre et de la mémoire. » Colette, femme au foyer « très active », adorait la marche. Elle ne peut aujourd’hui qu’articuler quelques phrases. C’est Jean-Claude qui raconte leur histoire, guettant régulièrement l’approbation de sa femme.
Leurs vieux jours, ils les imaginaient autrement : « On avait envie de profiter de la vie, d’acheter un camping-car pour aller se promener », dit le mari devenu « aidant » à plein temps. Un mot qui désigne ces proches - famille, amis, voisins - qui accompagnent au quotidien une personne en situation de dépendance en raison de l’âge, d’une maladie ou d’un handicap. Il y a aujourd’hui quelque 11 millions d’aidants dans l’Hexagone, soit un Français sur six.
« Rompre l’isolement »
Dimanche, c’était leur journée nationale, dédiée cette année à la précarité (professionnelle, financière, sanitaire) qui découle de leur statut. Leur reconnaissance a franchi un cap le 13 septembre avec l’annonce par le ministère de la Santé de l’indemnisation du « congé de proche aidant », entré en vigueur en janvier 2017. A partir d’octobre 2020, une enveloppe figurera dans le budget de la Sécu pour expérimenter pendant deux ans une compensation pour les salariés, les travailleurs indépendants et les agents publics à hauteur de 43,52 euros par jour pour une personne en couple, et 52 euros pour une personne isolée, d’une durée pouvant aller jusqu’à trois mois pour l’ensemble de la carrière de l’aidant. (...)
« On s’est dit que cette population méritait un accueil particulier, explique Géraldine Pouly, l’une des deux médecins de la Maison du répit. Le premier objectif était de rompre l’isolement, on aide l’aidant à interrompre son rythme effréné, c’est un exercice très difficile de se décentrer de l’autre, d’identifier ses propres besoins en croisant d’autres situations, pour pouvoir reconsidérer son couple. » (...)
« Un malade peut devenir abusif, tyrannique »
Une corrélation a bien été établie entre la survenance d’une maladie chronique ou dégénérative et l’irruption de violences conjugales au sein d’un couple. Mais cette détérioration de l’état de santé de l’un des conjoints ne se traduit pas forcément par un taux de séparation plus élevé. « C’est un mythe, c’est faux sociologiquement, explique la psychologue. Il n’y a pas plus de ruptures que dans la population générale et les gens qui se séparent avaient déjà des difficultés avant. »
Les situations de maltraitance naissent surtout au sein des couples âgés, où « les aidants sont eux-mêmes fatigués : s’occuper de quelqu’un dans une situation de dépendance peut être très angoissant et susciter en réponse une violence psychique et physique », pointe Léonor Fasse. D’autant qu’il est aussi très difficile pour l’aidant parfois épuisé « d’avouer à quel point le malade peut devenir abusif, tyrannique, dans la vie quotidienne ».
Dans de nombreux cas, la maladie suscite d’abord un « rapprochement émotionnel » et devient l’occasion « de partager des choses positives » : l’aidant se sent « utile », « fier de sa loyauté ». (...)
L’un des souvenirs les plus blessants de Jean-Claude, c’est ce médecin de la Sécu qui n’a pas bougé le petit doigt lors de la visite pour la reconnaissance du handicap de Colette : « Il m’a regardé me débrouiller tout seul pour l’installer sur la table d’examen qui ne se montait ou ne se descendait pas. » Plus un aidant est amené à accomplir des soins, plus l’intimité du couple en pâtit.