
"Ce qui devrait nous frapper,c’est la déconnexion entre l’ampleur des menaces avérées et le calme avec lequel on continue tranquillement à faire comme si de rien n’était."
Qu’il faille changer de trajectoire, tout le monde le sait, et pourtant la difficulté ne fait que croître, qu’il s’agisse du cadre politique inadapté, comme à Copenhague en 2009, ou du cadre socio-technique plus inadapté encore, comme on l’a vu sur nos écrans devant les centrales nucléaires éventrées du malheureux Japon. Le problème vient de ce qu’il n’y a pas de mythe alternatif, mobilisateur et positif, qui puisse prendre la place de celui du progrès, de plus en plus associé aujourd’hui à celui d’une « fuite en avant ». La « décroissance » ne peut entraîner les énergies quasiment révolutionnaires qu’il faudrait mobiliser pour un changement aussi radical. Quant au « développement », qu’il soit durable, insoutenable ou maîtrisé, il n’est pas non plus accompagné de la gamme nécessaire de passions à la hauteur des enjeux.
La déconnexion semble totale entre l’ampleur des changements à effectuer et la pâleur ou l’inconsistance des sentiments que suscitent ces transformations – pourtant reconnues du bout des lèvres comme « absolument nécessaires ». Comme si chacun de nous se préparait à une révolution, mais immobile et dans son fauteuil... (...)
Fredric Jameson, dans son article “Future City” publié en 2003 (1), évoque l’ironie de la formule selon laquelle « il est plus facile aujourd’hui d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme » ! (...)
C’est que nous sommes pris, avec les crises écologiques, dans un double excès : excès de fascination pour l’inertie des systèmes socio-techniques mis en place ; excès de fascination pour le caractère total, global et radical des changements qu’il faudrait effectuer. Le résultat est une frénétique course de lenteur. Une Apocalypse au ralenti...
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Pour les guerres, tout le monde sait quelles passions il faut ressentir, quelles précautions il faut prendre, quelle contre-menace il faut aussitôt monter. Mais quand il s’agit de cette menace asymétrique, à la fois immense et lointaine, certaine et contestée, multiforme et surtout non-humaine, on se sent effrayé, terrifié même, mais au fond froid et surtout impuissant. Certains disent même qu’il ne faut rien faire en attendant d’être absolument sûr. (...)