
Dès qu’on les aborde, certains points névralgiques de notre modernité déstabilisent nos concepts les plus familiers. Le rapport entre humains et animaux déclenche ainsi de nombreuses réactions où se mêlent inextricablement des aspects philosophiques, scientifiques et politiques : sur fond de mise en question de la conception d’une nature humaine dotée de caractéristiques propres, c’est la légitimité des expérimentations animales, ou plus largement celle de leur exploitation, qui est interrogée. Les recherches récentes en éthologie et les préoccupations écologiques ont renouvelé les termes de ce vieux débat, comme en témoignent, parmi une production abondante, deux livres récents.
De tout temps, les humains ont utilisé les sociétés animales pour en tirer des enseignements sur la leur, ce dont l’exemple le plus connu demeure l’usage qui fut fait du darwinisme pour justifier un système économique défini par la compétition, où la survie du plus apte se traduisait en règle sociale fondamentale. Aujourd’hui, des études plus attentives des singes soulignent un aspect négligé mais fondamental de leurs relations : l’empathie.(...)
Pour Frans de Waal (L’âge de l’empathie, – Leçons de la nature pour une
société solidaire), il est temps d’abandonner l’idée que l’on décide ou non de sortir d’embarras autrui en fonction d’un calcul des coûts et des bénéfices.(...)
Alors que de Waal nous rapproche des animaux, Dominique Lestel (L’animal est l’avenir de l’homme) brouille les frontières dans l’autre sens, en rapprochant les animaux des humains.(...)
Que penser ainsi de l’idée étrange selon laquelle l’animal pourrait « accepter d’être attaqué par un prédateur, même si une telle agression le fait énormément souffrir, parce qu’elle est dans l’ordre des choses », alors qu’il ne pourrait comprendre l’agression, dénuée pour lui de sens, des expérimentations en laboratoire ? L’auteur se montre bien plus convaincant quand il souligne qu’il est futile de vouloir trouver une limite nette entre hommes et animaux, qui n’a pas grand sens biologique. Mais la question vraiment intéressante, ce serait plutôt de savoir pourquoi on veut en trouver une à tout prix, ce qui renvoie notamment aux fondations de la modernité, la distinction entre l’Humain et la Nature inanimée dont on pouvait devenir maître pour l’exploiter sans scrupule.(...)
Du fait divers qui rappelle la difficulté de faire coexister les ours et les moutons aux émotions suscitées par les abattoirs ou les laboratoires, les questions posées sont politiques, puisqu’il s’agit là, à proprement parler, de définir les intérêts que nous voulons prendre en compte et ceux que nous nous donnons le droit d’exclure.(...) Wikio