
Par cette phénoménologie de la vie végétale, la philosophe Forence Burgat nous rappelle que les plantes se définissent avant tout par ce qu’elles n’ont pas : sans conscience intentionnelle ni monde vécu, comment pourraient-elles mener la vie secrète que leur prêtent certains ouvrages populaires ?
Et si les plantes souffraient, pensaient, s’entraidaient, et si la carotte était un animal comme les autres ? Selon Peter Wohlleben, célèbre ingénieur forestier allemand, auteur d’un best-seller sur La vie secrète des arbres, « la plantule du chêne engloutie par un cerf souffre et meurt, comme souffre et meurt le sanglier égorgé par un loup » (cité p. 13). La thèse est originale et paraît d’autant plus inoffensive qu’aucun de ses défenseurs n’appelle à cesser de cuisiner les plantes.
N’y a-t-il pas dans cette forme de néo-animisme, qui reconnaît une continuité entre l’intériorité subjective humaine et végétale, une pensée de derrière la tête ? La prétendue souffrance des plantes n’est-elle pas, demande Florence Burgat, « le nouveau contre-feu à la cause des animaux » (p. 172) ? Dominique Lestel, auteur d’une Apologie du carnivore, ne cache pas ses intentions polémiques : « Pourquoi serait-il plus éthique de faire souffrir une carotte qu’un lièvre ? » (cité p. 13). En bonne logique, si la carotte et le lièvre souffrent autant, « il n’est pas éthique » de les discriminer, d’épargner les animaux, et de tuer sauvagement les brins d’herbe, les carottes et les pousses de soja. Les végétariens seraient des assassins comme les autres. Qu’on laisse donc les carnivores à leur fête !
Contre cet argument dit du « cri de la carotte », les animalistes s’étaient jusqu’alors contentés de répondre deux choses. D’une part, les végétaux n’ont pas de système nerveux, donc ils ne ressentent pas la douleur. D’autre part, les carnivores consomment des animaux eux-mêmes nourris avec des végétaux. Pire, la production d’une protéine animale nécessite 7 à 10 protéines végétales. L’argument est strictement comptable. Même si la souffrance végétale était de même intensité que la souffrance animale, les omnivores produiraient sept à dix fois plus de souffrance que les amateurs des seuls végétaux
Florence Burgat ne se satisfait pas de ces arguments. Le premier repose sur l’idée qu’il ne peut y avoir aucune souffrance sans système nerveux. Or une poignée de biologistes, controversés certes, s’inscrivent dans le sillon de Wohlleben et soutiennent qu’il existe une forme de « système nerveux diffus » chez les plantes. (...)
Quant au deuxième argument, il concède que tuer une carotte est un meurtre, un meurtre comparable à celui d’un animal d’élevage. Aux yeux de la philosophe, cette concession est absurde, oiseuse.
Qu’est-ce qu’une plante ? dépasse ces deux arguments en étayant la thèse d’une différence ontologique radicale entre la vie végétale et la vie animale. (...)
Que savons-nous des plantes ?
L’ouvrage se divise en trois parties : épistémologie, ontologie, morale et droit. (...)