
Nous étions à la maraude de solidarité avec les migrants qui a eu lieu à Montgenèvre, point de passage entre l’Italie et la France, le 15 mars.
Le 15 mars à Montgenèvre (Hautes-Alpes), à la frontière franco-italienne, j’ai arpenté la montagne à pied, de nuit, pendant une heure et demie environ. Je faisais partie d’un groupe d’une centaine de personnes chaudement vêtues, mais pas toujours très bien équipées. Deux ou trois d’entre nous avaient pensé à se munir de lampes frontales, qui se sont révélées d’une aide toute relative dans l’épaisse obscurité. Nous n’avions pas de direction précise en tête. Nous grimpions simplement au hasard les pistes quotidiennement dévalées par des centaines de skieurs en cette fin de saison. Nous allions à contre-courant, mais personne n’était là pour nous en faire le reproche, et la réalité est rarement à sens unique. Un monde en négatif s’ouvrait à nous. (...)
Cette grande maraude solidaire avec les migrants était organisée par le mouvement du Briançonnais “Tous migrants”, et soutenue par cinq associations d’envergure nationale (Médecins du monde, Médecins sans frontières, Amnesty international, la Cimade et le Secours catholique). Régulièrement, des bénévoles parcourent les pistes et leurs alentours après leur journée de travail, pour venir en aide aux exilés qui tentent de passer le col de Montgenèvre (1850 mètres) à pied, entre l’Italie et la France. Ils ont été 5 200 à le franchir l’année dernière pour arriver au refuge solidaire de Briançon. Tous n’ont pas la chance d’en sortir indemnes. (...)
Marie Dorléans, présidente du mouvement “Tous migrants”, a voulu rassurer la foule, alors que plusieurs maraudeurs et “aidants” ont été poursuivis ces derniers mois - comme les “sept de Briançon”, condamnés le 29 janvier à de la prison ferme ou avec sursis. “N’ayez pas peur, nous ne sommes pas des hors-la-loi. Nous sommes dans les clous”, affirme-t-elle. En 2018, le Conseil constitutionnel a rappelé le principe de fraternité. (...)
A la suite de quelques maraudeurs silencieux, je m’engage sur la pente. Impossible de tenir debout tant la dépression est forte, et les plaques de verglas fréquentes. Certains optent pour la glissade sur les fesses, mais prennent dangereusement de la vitesse et peinent à s’arrêter. Après quelques carambolages, et avoir croisé un pisteur en moto-neige interloqué, nous arrivons enfin en bas. Devant le local de la police aux frontières (Paf), joue une fanfare associée à la manifestation. La police braque sur nous ses spots aveuglants, comme si nous étions dans l’illégalité. Une prise de parole a lieu pour dénoncer les violences policières contre les migrants. Le face à face est tendu. Je suis épuisé, mais encore à mille lieues d’imaginer la terreur que peut ressentir un exilé lorsque la police le traque après trois heures de périple.
Une réalité qui ne fait pas partie d’une dimension parallèle
Cette nuit-là, nous n’avons croisé personne, nous n’avons pas concrètement secouru de migrants, mais nous avons néanmoins senti. Nous nous sommes rapprochés d’une réalité qui ne fait pas partie d’une dimension parallèle, mais qui demeure pourtant souvent invisible dans ce lieu de villégiature. (...)