
Laura Nsafou s’en souvient encore, du jour où elle demanda à sa mère de lui défaire les nattes qu’elle avait sur la tête, car elle en avait honte. L’histoire d’Adé, dans Comme un million de papillons noirs, c’est un peu la sienne et celle de milliers d’autres petites filles noires. Dans cet ouvrage, l’auteure fait de la littérature pour la jeunesse un véritable vecteur de l’estime de soi. Sorti en 2017 aux Editions Bilibok, le livre a été réédité en septembre dernier aux Editions Cambourakis. Victime d’un succès fulgurant, Comme un million de papillons noirs en est déjà à son septième tirage. Un huitième est en cours d’impression.
(...) L’époque est-elle propice à l’émergence d’une diversité de points de vue ?
Je ne sais pas si c’est une question d’époque, cela a toujours été nécessaire, car la diversité des points de vue rend compte d’une diversité des expériences. Comment se construire dans un pays qui ne considère pas vraiment son lectorat noir ? Il devient alors très difficile de s’estimer dans une société qui ne nous pense même pas. Comment se dire que l’on est une personne digne d’exister ? Il n’est pas étonnant que certaines personnes noires se retrouvent plus dans les séries américaines, où ils sont mieux représentés, que dans les séries françaises. Ici, on a le choix entre être invisible ou vivre à travers des stéréotypes coloniaux. J’aurais aimé pouvoir lire Comme un million de papillons noirs plus jeune. (...)
le cheveu a toujours été politique. Les traits qui correspondent à ce qu’on identifie comme étant la négritude ont été perçus comme des éléments pouvant justifier l’animalisation de la personne noire. Il est ancré dans certaines mentalités que les corps noirs ont une altérité animalière. On peut aussi mentionner la compagnie aérienne Air France, qui avait suspendu un de ses stewards à cause de ses tresses. Par définition, le cheveu a toujours été politique, puisque, en tant que sujet politique, on a essayé d’inférioriser les personnes noires par leur physique et leur couleur de peau, et d’en faire une justification pour les asservir. (...)
Vous tenez également un blog, « Mrs. Roots », sur lequel on peut lire cette phrase : « Ecrire. Pour qu’il ne soit plus possible de dire encore une fois : Je ne savais pas. »
A mon grand regret, cette citation n’est pas de moi. Elle est tirée de l’ouvrage Une saison blanche et sèche d’André Brinjk. Elle résume bien ma philosophie. Quand on dénonce des propos racistes, on nous oppose toujours l’argument de l’ignorance et ce fameux « je ne savais pas ». Je ne supporte plus cette excuse. L’ignorance est un choix, la personne décide de s’y complaire, de ne pas prendre ses responsabilités. Cette phrase situe également mon engagement, je l’ai commencé grâce à la littérature et je continuerai car, pour moi, l’un des meilleurs moyens de lutter, c’est de laisser des traces. On ne peut pas effacer les écrits.
Table ronde, vendredi 3 mai 2019, « Et si Titeuf était une fille ? ». Cercle de la Librairie et de l’Edition de Genève.