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Mediapart
Un livre féministe provoque un désir de censure au ministère de l’égalité femmes-hommes
Article mis en ligne le 1er septembre 2020

L’essai Moi les hommes, je les déteste, de Pauline Harmange, est susceptible de « poursuites pénales », assure Ralph Zurmély. Ce chargé de mission au ministère délégué à l’égalité femmes-hommes menace les éditeurs de saisir la justice si l’ouvrage n’est pas retiré de la vente.

En 1941, dans le film Vénus aveugle d’Abel Gance, Viviane Romance chantait : « Je vous déteste, les hommes,/ Toujours toujours pour vous nous sommes/ L’éternelle bête de somme,/ Depuis l’éternité. » Des paroles qui ne seraient pas aujourd’hui du goût de Ralph Zurmély, chargé de mission au ministère délégué à l’égalité femmes-hommes, qui souhaite interdire à la vente le livre féministe de Pauline Harmange Moi les hommes, je les déteste. Et menace de saisir la justice si les éditeurs ne retirent pas d’eux-mêmes le livre de leur catalogue. (...)

« Il n’y a aucune incitation à la haine dans mon livre, assure de son côté Pauline Harmange, bénévole depuis des années dans une association de lutte contre les violences sexuelles. Je ne sais pas si ce monsieur du ministère à l’égalité femmes-hommes fait de la veille sur la misandrie, mais je pense qu’il devrait trouver d’autres manières de s’occuper. Un fonctionnaire d’État qui fait une crise de pouvoir face à un livre de 80 pages sorti à 400 exemplaires, je trouve ça très problématique. »

S’il est saisi, le parquet devra décider s’il y a lieu de poursuivre pour incitation à la haine. Plusieurs éléments dans l’ouvrage de Pauline Harmange vont dans le sens inverse. L’un des premiers chapitres, par exemple, est consacré à ce paradoxe : Pauline Harmange « déteste les hommes » mais vit en couple avec l’un d’eux (qu’elle remercie avec « plein d’amour » à la fin du livre). Elle écrit aussi : « Nous sommes misandres dans notre coin. Quand nous détestons les hommes, au mieux nous continuons de les tolérer parce qu’ils sont partout et qu’il faut bien faire avec (incroyable mais vrai : on peut détester quelqu’un sans avoir une envie irrépressible de le tuer). »

Dans un article paru en 2018, la maîtresse de conférences en droit public Nathalie Drouin écrivait : « L’examen du contentieux de presse permet d’observer que les juges français consacrent une appréciation contextualisée des délits d’injure, de diffamation et de provocation, dont le caractère punissable peut en quelque sorte tomber lorsque le propos s’inscrit dans une dimension humoristique ou satirique ou, parfois, lorsqu’il participe à un débat d’intérêt général. »

Dans un courrier envoyé cette fin d’après-midi à M. Zurmély et auquel Mediapart a pu avoir accès, l’Observatoire pour la liberté de création(2) s’insurge contre sa « démarche illégale » : « Vous n’avez aucune autorité juridique pour demander le “retrait” d’un livre, n’étant pas le ministère de l’intérieur, lequel, à notre connaissance, n’est pas saisi selon la procédure ad hoc. Enfin, vous n’avez aucune autorité intellectuelle pour demander ce retrait, votre démarche relevant à l’évidence d’un contre-sens à la fois sur les missions que vous prétendez défendre et sur le livre que vous n’avez pas lu. Nous vous demandons fermement de revenir sur votre demande et d’adresser vos excuses à l’éditeur. »

« C’est extrêmement grave qu’un fonctionnaire demande l’interdiction d’un livre, souligne auprès de Mediapart la déléguée de cet Observatoire, l’avocate Agnès Tricoire. (...)

Pour l’instant, les éditeurs refusent catégoriquement d’arrêter la distribution du livre. Les 500 exemplaires en réimpression devraient donc être remis à la vente dès la mi-septembre. Mais Monstrographe reste une toute petite maison d’édition tenue par deux bénévoles… « On est des artistes précaires, s’il y a des frais d’avocats, on n’a tout simplement pas l’argent, précise Martin Page. On n’aura pas d’autre choix que d’arrêter la publication du livre… Mais ça serait un déchirement. »