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Un jugement de la Cour suprême des Etats-Unis défie l’immunité incontestée de la Banque mondiale
Article mis en ligne le 28 avril 2019

Le verdict est finalement tombé. Le 27 février 2019, dans une décision historique les juges ont statué à 7 contre 1 en faveur de la fin de l’immunité conférée aux organisations internationales comme la Banque mondiale, ce qui ouvre la possibilité de poursuites devant les tribunaux étasuniens.

Cette décision répond à la plainte déposée (Budha Ismael Jam et al en tant que requérants contre la Société financière internationale (SFI) – institution membre du groupe Banque mondiale) contre une centrale électrique financée par la SFI dans l’Etat du Gujarat en Inde. La décision de la Cour étasunienne marque un tournant pour les peuples du monde et les communautés directement affectées qui demandaient que soit mis fin à l’immunité des institutions financières internationales (IFIs). (...)

Le bras armé de la Banque mondiale finançant le secteur privé, la Société financière internationale, avait comme beaucoup d’autres IFIs proclamé être « au-dessus des lois » ce qui leur permettait d’effectuer des prêts entrainant de sérieuses violations des droits humains. En dépit de conséquences désastreuses, elles ont pu poursuivre leur marche sans entrave en vertu de cette immunité « absolue ». Malgré les sérieux problèmes qu’elles ont causés partout dans le monde, leurs activités échappaient à une analyse juridique approfondie en raison de la loi de 1945 (International Organization Immunities Act) relative aux institutions internationales leur conférant « la même immunité face aux poursuites » que celle conférée aux gouvernements étrangers. Pour rendre sa décision, la Cour Suprême a rejeté cette exception en s’appuyant sur la loi de 1976 (Sovereign Immunities Act) dont l’immunité ne s’étend pas aux activités commerciales des gouvernements étrangers. (...)

La lutte de Ismet Zerin Khan

Précédemment, Ismet Zerin Khan, ancienne responsable de la Banque mondiale au Bangladesh, a mis en cause l’immunité de la Banque mondiale devant les tribunaux de ce pays et a obtenu gain de cause. Sa plainte portait sur son licenciement illégal en 2001. Dans cette affaire, la Banque mondiale a prétendu qu’elle ne pouvait faire l’objet de poursuites en raison de son immunité juridique absolue. Cependant le juge bangladeshi a décrété la poursuite de la plainte et a déclaré le licenciement comme illégal, de mauvaise foi, arbitraire et que la requérante avait le droit de récupérer son poste ainsi que les arriérés de salaires et des avantages dont elle bénéficiait.

Les prétentions de transparence, d’équité et d’impartialité de la Banque mondiale mises à rude épreuve, Ismet Zerin Khan a indiqué qu’elle avait épuisé tous les recours administratifs internes y compris le Tribunal d’appel et le Tribunal administratif et qu’elle avait échoué dans ses efforts pour obtenir un règlement juste et équitable.

En réponse à sa demande, les tribunaux du Bangladesh ont confirmé que la Banque mondiale ne peut prétendre jouir d’une immunité inconsidérée en dépit de ses bruyantes proclamations. Ces tribunaux ont pris acte de la requête et du combat menée par madame Khan contre la Banque mondiale. Pendant des décennies, elle s’est battue avec succès pour porter l’affaire depuis la première instance jusqu’à la Haute Cour de la Cour suprême du Bangladesh dans un processus très long et laborieux freiné par l’obstruction continue et répétée de la Banque mondiale et le recours aux mensonges, inventions et fausses allégations.

Le verdict de la Cour Suprême du Bangladesh est non seulement audacieux, mais aussi historique et sans précédent. (...)

La SFI accusée de profiter de meurtres au Honduras

A l’autre bout de la planète, les paysans honduriens luttent contre la SFI qu’ils accusent de « tirer sciemment profit du financement de meurtres ». Les paysans locaux allèguent que pour les chasser de leurs terres, la Corporación Dinant, une compagnie d’huile de palme, a mené une guerre contre les agriculteurs et leurs coopératives. Plus de 100 personnes ont été assassinées, depuis 2009, dans la région du Bajo Aguan au Honduras. Un amendement rétroactif à la loi agraire de 1992 a ouvert la voie à la vente à des propriétaires privées ou à des grandes entreprises de larges étendues de terre auparavant réservée à la propriété collective. Depuis lors, cela a de facto conduit à un accaparement des terres, transférant des centaines d’hectares des communautés paysannes à des entreprises agroindustrielles. Lorsque les paysans ont essayé de résister, ils ont été brutalement repoussés.

Ce n’est pas un secret, le Honduras est un pays dangereux pour les défenseurs des droits humains et de l’environnement. Entre 2009 et 2013, la SFI a prêté à Dinant des millions de dollars en plusieurs tranches et a apporté par la suite un soutien supplémentaire par des financements indirects via la banque Ficohsa au Honduras et la filiale AMC de la SFI. Plus encore, selon certaines allégations, la SFI aurait prêté 15 millions de dollars après le coup d’Etat tout en sachant qu’il y avait des litiges fonciers en cours concernant les propriétés de Dinant dans l’Aguan. (...)

Le 8 mars 2017, EarthRights International a déposé une plainte à Washington pour le compte de paysans honduriens qui accusaient deux membres du groupe Banque mondiale d’avoir aidé et encouragé des violations graves des droits humains. En raison des risques élevés qu’ils encourraient et pour se protéger, les paysans ont demandé l’autorisation à la Cour de déposer plainte sous le pseudonyme de Doe. Il leur a été donné satisfaction le lendemain. En octobre 2017, ils ont retiré leur plainte du District de Columbia (via une procédure de retrait volontaire sans préjudice) et l’ont réintroduite dans le district du Delaware où l’AMC-SFI a son siège social. Le mois suivant, l’AMC-SFI a demandé que la procédure retourne au district de Columbia. Les requérants s’y sont opposés directement le 22 novembre. Les parties attendent actuellement la décision de la Cour du district du Delaware. (...)

La Banque mondiale peut-être poursuivie dans n’importe quel pays

Contrairement aux idées reçues, la SFI peut faire l’objet de poursuites. (...)

Les Etats fondateurs de la Banque mondiale ont estimé qu’ils ne pourraient vendre les titres émis par celle-ci qu’à condition de garantir aux acheteurs de ces titres la possibilité de la poursuivre en justice en cas de défaut. C’est pour cette raison qu’il y a une différence fondamentale entre l’immunité de la Banque mondiale et celle du FMI. Le FMI peut lui bénéficier de l’immunité car il finance ses prêts lui-même en utilisant les quotes-parts des contributions de ses Etats membres. Si la Banque mondiale ne bénéficie pas d’une immunité, ce n’est pas pour des raisons humanitaires, mais bien pour octroyer aux créanciers des garanties nécessaires.

Mettre fin à l’impunité de la Banque mondiale !

Alors que leurs prêts ont mis en péril la vie de millions de personnes, ce n’est pas seulement en Inde, au Bangladesh ou au Honduras que la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales ont opéré sous couvert d’immunité pour se protéger d’un contrôle démocratique. Les projets financés par la SFI, par le groupe Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales ont violé toutes les normes en matière de droits humains, droit sociaux, droits environnementaux et droit du travail. Cependant, aucune de ces institutions n’a fait l’objet de condamnation. Ils ont fonctionné comme une « super-autorité » au-dessus des lois des pays dans lesquels elles opèrent. Le jugement de la Cour suprême des Etats-Unis est une véritable victoire pour celles et ceux qui ont cherché à faire condamner les coupables. Elle permet potentiellement d’engager une série de poursuites contre la Banque mondiale et d’autres IFI pour rendre justice aux populations affectées par leur action. Cependant, les actions en justice ne sont pas en elles-mêmes suffisantes pour mettre fin à ces pratiques de prêts vecteurs d’oppression. Nous avons également besoin de la mobilisation populaire des communautés affectées et d’autres pour mettre fin à cette anarchie.