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M. Mondialisation
Un cadre d’HSBC démissionne publiquement avec une lettre ouverte à l’humanité
Jérémy Desir-Weber
Article mis en ligne le 1er août 2019

« Je prends en ce jour la décision de démissionner publiquement à travers cette lettre ouverte ! » Jérémy Désir est un « quant », un mot utilisé dans le milieu de la finance pour désigner un analyste quantitatif. Toujours pas clair ? Les quants, ce sont des ingénieurs spécialisés dans l’application de méthodes mathématiques et statistiques de haut vol à des problèmes de gestion financière. Vulgairement : maîtriser les chiffres pour maximiser les profits. Hier encore, l’homme travaillait au siège de la banque HSBC au département des risques, une position prestigieuse dans le milieu de la finance.

Mais voilà, le décalage entre la réalité de la crise écologique et les objectifs de l’entreprise et du milieu financier en général était devenu trop lourd que pour être humainement supportable. Dans sa lettre, il dénonce la passivité grossièrement déguisée de son employeur, HSBC. Il accuse de l’intérieur les manœuvres des puissances financières pour « maintenir cet obscurantisme capitaliste meurtrier ».

Mais il ne s’arrête pas là. L’expert livre surtout un rapport de 50 pages décrivant l’inadéquation criante de la réponse des banques à la crise climatique et ce pourquoi on ne sauvera plus l’humanité en préservant le statut quo.

Un document important qu’il avait précédemment remis à sa hiérarchie, sans effet. L’employé a donc décidé de rendre ce rapport disponible en téléchargement libre.

Une véritable mine d’or d’informations et surtout une critique systémique des institutions invitant à un changement profond de civilisation et de ses structures économiques dévastatrices.

Ce lundi 29 Juillet 2019, le jour du dépassement mondial, Jérémy Désir prenait donc la décision de démissionner publiquement. Voici sa « Lettre ouverte à l’humanité » telle qu’il nous la livre.
(...)

Le capitalisme est mort. Et bien que ces terres encore vierges sur le point d’être broyées, que ces vies encore fragiles sur le point d’être noyées, ne verront peut-être jamais éclore leur lendemain, le capitalisme est bel et bien mort dans son essence, en tant que concept et force structurante de nos affects. Plus vite rendrons-nous les armes avec humilité devant cette incontournable réalité, plus densément la vie dans sa diversité aura de chances de se régénérer.La démonstration ? (...)

Les conceptions économiques, ou courants idéologiques, qui l’ont théorisé se sont exprimés en 1776 avec la Richesse des Nations d’Adam Smith, acte intellectuel fondateur du libéralisme. La « main invisible » y est postulée comme « mécanisme d’autorégulation induit par la rencontre d’une offre et d’une demande sur des marchés décentralisés », et où le point aveugle de l’œuvre tient dans l’omission de l’esclavage, quand bien même ce soit la source principale d’enrichissement des marchands de Glasgow chez qui le professeur Smith vient apprendre l’essentiel de ce qu’il sait en économie. Ce qui fait écrire à Gaël Giraud qu’« autrement dit, la « main invisible » est une main de couleur noire, restée invisible aux yeux de l’analyste « éclairé » que fut Smith. » (...)

Aujourd’hui, les crises écologiques et climatiques sans précédent affrontées par le vivant, dont l’humanité, ont été modélisées, étudiées et confirmées depuis près de 50 ans. L’état le plus avancé de la recherche scientifique est capable de lire cette altération durable de notre planète dans l’atmosphère, dans les sédiments, dans les roches et dans les glaces. Pour la première fois dans son histoire, l’homme est en mesure de connaître avec une unanimité internationale les causes précises de sa proche extinction, mais aussi les trajectoires à suivre drastiquement s’il veut l’éviter. (...)

les seules institutions légitimes pour accompagner les plus hautes instances d’un « capitalisme devenu fou » dans des contraintes éco responsables sont impuissantes devant un secteur privé incontrôlable et hostile aux moindres formes de régulation. Pourquoi une telle réticence de la part des banques et des plus grandes multinationales cotées à ne serait-ce que traquer leurs émissions de GES, et donc l’impact carbone de leur bilans financiers ? Car aucune de ces firmes ne tient à dévoiler publiquement la contre-partie meurtrière pour la Terre et les Hommes de leurs profits et valorisations toujours plus déconnectées de toute réalité physique. En outre, cela donnerait une mesure indiscutable de la toxicité d’un libre-échange toujours plus énergivore, pourtant second pilier du capitalisme. (...)

Après plusieurs mois d’exposition médiatique intense des crises sociales et écologiques de notre monde, je n’arrive plus à me contenter de ces maigres éparpillements bénévoles auxquels je croyais pourtant profondément. Cette tendance nouvelle de la « Data For Good » en partenariats avec ONG et charités, énième anesthésiant de bonne conscience sur une plaie gangrenée qu’on ignore, dont les acteurs les plus sincères ne remettent jamais en question les fondements aliénants de notre civilisation. Même la désobéissance civile aux méthodes jugées « radicales » d’Extinction Rebellion, à laquelle je pris partiellement part en Avril, n’y suffisaient évidemment plus. La passivité grossièrement déguisée de mon employeur pour faire face à ce désastre enfin médiatisé, qui plus est suivant la farce symbolique d’ un « état d’urgence climatique » décrété le 1er Mai par la Grande-Bretagne, a confirmé mes intuitions d’une impuissance passive et complaisante face au désastre en cours.

C’est pourquoi j’ai élaboré un rapport de 50 pages sur l’inadéquation criante de la réponse des banques à la crise climatique, ainsi que plusieurs recommendations, et l’ai transmis Lundi 15 Juillet, à mon chef d’équipe, docteur en physique et ancien trader quantitatif aujourd’hui superviseur de validation de modèles. (...)

les trois piliers sur lesquels se sont appuyés le « progrès » de nos civilisations ont systématiquement occulté, volontairement ou non, la notion d’énergie primaire et humaine dans leurs chaînes de valeurs, les soumettant ce faisant à des arbitrages incontrôlables et dénaturés. L’économie, voulant pourtant se travestir en science naturelle et donc quasi indiscutable hors des cercles les plus savants, s’est permise d’omettre les sciences physiques de ses équations financières, et son ignorance crasse en fait payer le prix à la Terre de manière irréversible, ainsi qu’un reste d’une humanité, réduits à l’état de « déchets ».

J’en viens au but de cette lettre. Celui-ci passe par une brève description de mon parcours personnel. (...)

Comme je m’en doutais, plusieurs jours après la remise de ce rapport, dont une majeure partie ne devrait être autre chose qu’un rappel pour des scientifiques, qui plus est, rattachés au système financier international, l’effet est très limité et nous n’en avons pas reparlé.

Je n’en attends pas plus de mon proche entretien avec l’un des plus hauts représentants de la banque, directeur mondial de la stratégie des risques et ayant participé de première main aux recommandations de la TCFD. Suite à ce cri d’alerte volontairement très dense, quantifié et documenté, afin de ne jeter aucun doute sur sa crédibilité, je pense qu’on s’excusera au mieux d’une forme d’impuissance devant la nécessité d’actions drastiques coordonnées, qu’on me montera au pire la direction de la sortie.

Je suis prêt à prendre ce risque et à ce qu’il fasse écho dans ma communauté.

Tout comme moi, la majorité des quant ou data scientist – deux titres auxquels je peux prétendre – pensent être très rationnels et guidés par la science. Nous ignorons pourtant déplorablement les alarmes retentissantes et toujours plus aigües de la communauté scientifique internationale. Et ce depuis des décennies. (...)

je suis prêt à prendre le risque de confronter mon employeur à ses propres manquements, et d’en assumer les conséquences, tout en relayant l’absurdité de la situation au plus grand nombre via une version absolument non-violente de la propagande par le fait. (...)

Devant cette conspiration internationale des puissances financières pour maintenir cet obscurantisme capitaliste meurtrier et endormir la conscience de ses meilleures ressources intellectuelles devant les causes et conséquences de notre crise écologique et climatique, je prends en ce jour la décision de démissionner publiquement à travers cette lettre ouverte. Je suis incapable, sachant ce qui précède, de perpétrer ce même mensonge glaçant en regardant ma conscience dans les yeux, et cesse donc dès aujourd’hui de collaborer avec ce totalitarisme sanguinaire. (...)

J’invite également ma communauté de chercheurs et d’ingénieurs, principalement ceux travaillant dans les banques d’importance systémique, mais aussi chez les géants du numérique, ceux pour qui les sirènes de l’argent n’ont pas fini d’envoûter leur sens de l’éthique et leur amour des sciences, à déclarer une grève générale le Vendredi 2 Août 2019, à renouveler tant qu’une stratégie de coopération internationale n’est pas actée par leur employeur (se servir des trois étapes E–R–A du rapport précédemment mentionné comme base de discussions à étoffer par la suite).

J’invite aussi le plus grand nombre, convaincus de la nécessité vitale d’une résistance groupée et organisée contre ce système d’oppression tentaculaire qui est en guerre contre le vivant, à venir gonfler les rangs et les coeurs souillés par la propagande calomnieuse de nos derniers révolutionnaires, en initiant ou participant aux manifestations du Samedi 3 Août 2019. Le mouvement social des Gilets Jaunes sera peut-être la dernière manifestation d’ampleur dénonçant les crimes quotidiens et étouffés d’un système oligarchique, obscurantiste et oppressif pour la Terre et les Hommes. (...)