
Depuis 1995, elles étaient place Galatasaray, à Istanbul, réclamant justice et vérité pour leurs proches disparus. Elles sont ce jeudi poursuivies comme des criminelles.
Ils sont 46 ce jeudi à se retrouver sur le banc des accusés d’un tribunal d’Istanbul. Le but ? Faire taire les récalcitrants et mettre en garde ceux qui n’acceptent pas la répression et voudraient relever la tête. Ce procès touche des femmes et des hommes, de tous âges. Leur crime ? Refuser l’oubli, refuser que leurs proches disparus dans des arrière-salles de la police ou de la gendarmerie n’aient jamais de sépultures et que les assassins ne soient pas inquiétés. (...)
C’était un 27 mai 1995. Ce jour-là, celles que l’on va rapidement appeler les « Mères du samedi » – ce qui n’est pas sans rappeler ces « Mères de la place de Mai » en Argentine dans les années 1970 – décident d’appeler à un sit-in devant le lycée de Galatasaray, sur l’avenue très fréquentée Istiklal à Istanbul. Leur but : exiger des autorités qu’elles fassent la lumière sur le sort de leurs enfants dont elles n’ont plus de traces depuis leur arrestation par les forces de sécurité turques. Dans les années 1990, les « disparitions », tout comme les exécutions extrajudiciaires, étaient nombreuses, particulièrement dans les régions kurdes de la Turquie. Cette politique avait commencé lors du coup d’État militaire de septembre 1980, mais, par la suite, elle est devenue quasiment politique d’État.
Les assassins ne seront peut-être jamais jugés
Depuis ce 27 mai, il y a presque vingt-six ans maintenant, elles n’ont eu de cesse de se rassembler chaque samedi. Une poignée au départ, elles se sont rapidement retrouvées des centaines. Des familles entières sont venues. Et des associations de défense des droits de l’homme. Et des partis politiques de gauche. Et des syndicats. Ils se retrouvent devant le siège de l’Association des droits de l’homme (IHD) d’Istanbul, malgré le déploiement de la police et de la gendarmerie. Ces dernières pourchassaient les manifestants, frappant ces vieilles dames sans retenue, un peu comme à l’entraînement.
Chaque rassemblement était marqué par le récit de la vie d’une victime pour lui rendre hommage et demander justice. (...)
Une audience qui s’ouvre dans l’indifférence des pays européens
Si Emine n’est pas inculpée, à cause sans doute de sa popularité – elle apparaît sur de nombreuses photos, à différentes époques, où on voit la police la molester –, plusieurs membres de sa famille le sont. Comme ses enfants Ali et Maside, le frère et la sœur de Hasan Ocak. Ils seront, entre autres, aux côtés de Faruk Eren, frère du journaliste Hayrettin Eren, dont on ne sait ce qu’il est devenu. « Ils veulent nous empêcher l’accès à Galatasaray par la peur et les pressions, mais nous n’abandonnerons jamais » (...)
Le procès qui s’ouvre est, à n’en pas douter, le moyen ultime pour que disparaisse ce cri maternel et politique. Sont criminalisés ceux qui réclament la vérité et la justice. Qu’il s’ouvre dans l’indifférence des pays européens ne doit pas étonner. Le 23 mars, une association kurde a été perquisitionnée à Marseille et plusieurs militants, en France, ont été placés en garde à vue. Pour le plus grand contentement d’Erdogan.