
Le philosophe Henri Peña-Ruiz répond à une tribune parue dans « Libération ». Il rappelle sa position antiraciste.
Le 4 octobre, Libération a mis en ligne une tribune collective présentée avec ma photo, assortie d’une citation coupée destinée à me mettre en cause. Quelques remarques en guise de droit de réponse.
Lors de l’Université d’été de la France insoumise, j’ai été invité à prononcer une conférence sur la laïcité le 23 août. Depuis, une campagne de diffamation publique m’accuse de racisme sur la base d’un faux, fabriqué en découpant une de mes phrases. Pour information, voici la phrase complète, avant ce découpage : « On a le droit de rejeter l’athéisme ou une religion, donc d’être athéophobe, cathophobe, ou islamophobe ; mais on n’a pas le droit de rejeter des personnes ou des peuples du fait de leur religion ou de leur athéisme. » En ne citant pas la seconde partie de ma phrase, mes détracteurs omettent sciemment ma position antiraciste. Ils ne veulent pas voir non plus qu’en mentionnant deux autres convictions spirituelles (le catholicisme et l’humanisme athée) j’entends me situer d’un point de vue universaliste, en évitant de ne citer que l’islamophobie. A rebours du différentialisme raciste de l’extrême droite, je considère en effet que la laïcité n’a pas à hiérarchiser les convictions, qu’elles soient religieuses ou non. Je m’étonne d’ailleurs que la fidélité de la restitution de mes propos n’ait pas été vérifiée avant d’être placée sous ma photo. Pour toute personne de bonne foi, il est clair que la distinction soulignée entre le rejet d’une croyance (islamophobie ou cathophobie) et le rejet d’une personne ou d’un peuple (musulmanophobie ou arabophobie) est essentielle.
Littéralement l’islamophobie se définit comme la peur de l’islam, assortie de son rejet, mais non comme le rejet des personnes musulmanes comme telles. Cette distinction trace nettement la frontière entre la liberté de critique et l’attitude raciste. Les deux actes ne peuvent être confondus, ni même associés. D’ailleurs en précisant que l’islamophobie n’est pas un délit, je n’en assure pas pour autant la promotion. Je refuse d’ailleurs de me caractériser comme islamophobe, car pour moi la liberté de critique d’une religion n’a rien de pathologique. Simplement je pense que pour lutter efficacement contre le racisme, il convient d’en donner une définition incontestable. La jurisprudence des condamnations pour racisme se fonde elle aussi sur la distinction du rejet des personnes, réprimé à juste titre, et du rejet de leurs croyances, qui relève de la liberté de louer ou de critiquer. Longtemps militant du Mrap [Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, ndlr], je l’ai quitté en même temps que Jean Ferrat, en 2006, quand Mouloud Aounit a voulu faire de la critique de l’islam un racisme et poursuivre en justice les caricatures reprises par Charlie. Racialiser la religion est intenable. Dans le racisme tourné contre les personnes originaires du Maghreb, la religion n’intervient pas nécessairement. (...)
Accordons-nous sur des notions sans équivoque, et luttons concrètement contre toutes les formes réelles de racisme, notamment celles qui nourrissent la discrimination à l’embauche ou au logement. Renonçons à utiliser le terme de race, qui n’est pas pertinent pour différencier les êtres humains. Et sachons conjuguer l’émancipation laïque avec la lutte pour la justice sociale afin d’éradiquer le racisme.