
Le lundi 23 janvier, le Sénat a été confronté à l’un de ces rares débats qui divisent le Parlement, non en fonction des groupes politiques, mais des sensibilités, philosophies, trajets personnels : faut-il qu’une loi réprime la contestation du génocide arménien de 1915 ? Un siècle après les faits, cette discussion mêle les sentiments, la souffrance, le droit, l’histoire, dans notre pays qui n’a été ni impliqué, ni témoin de ce drame.
Le lundi 23 janvier, le Sénat a été confronté à l’un de ces rares débats qui divisent le Parlement, non en fonction des groupes politiques, mais des sensibilités, philosophies, trajets personnels : faut-il qu’une loi réprime la contestation du génocide arménien de 1915 ? Un siècle après les faits, cette discussion mêle les sentiments, la souffrance, le droit, l’histoire, dans notre pays qui n’a été ni impliqué, ni témoin de ce drame. (...)
Le génocide arménien est reconnu par la France depuis la loi du 29 janvier 2001. Dés 1995, sa contestation a donné lieu à condamnation à des dommages et intérêts de l’historien américain Bernard Lewis, fondée sur les principes généraux de la responsabilité civile.
Qu’apporte donc le nouveau texte ? Il crée une sanction pénale spécifique qui punit d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende ceux qui contestent ou minimisent, de façon outrancière, un génocide reconnu par la loi. Ces peines sont celles prévues en cas de négation de la Shoah ou de tout crime contre l’humanité par la loi dite Gayssot du 13 juillet 1990.
Nous pouvons échanger de nombreux arguments. Pour les uns, le texte adopté par l’Assemblée nationale ne serait qu’une transposition d’une décision-cadre européenne de 2008 ... Ce que je pense inexact. Pour les autres, les Turcs ne peuvent accepter ce que nous-mêmes refuserions si le Bundestag ou le Sénat américain qualifiaient de génocide les exactions commises par la France en Algérie dans les années 60... Beaucoup s’interrogent sur les conséquences d’un tel texte sur les rapports franco-turcs ou l’indispensable normalisation des relations turco-arméniennes engagée depuis quelques années.
Je préfère aller au fond du débat. A-t-on donc besoin de cette nouvelle loi, et plus généralement quels sont les risques de ces lois mémorielles ? Des propositions de loi ont été déposées pour reconnaître le génocide des Tziganes, le génocide ukrainien de 1933 ou celui de Vendée de 1793. D’autres pourraient concerner les Tutsis, les Amérindiens, les Cambodgiens...
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Qui ne voit le risque d’ériger le Parlement en tribunal de l’Histoire ? Le collectif d’historiens présidé par Pierre Nora récuse cette Histoire officielle qui empêcherait de poursuivre une recherche, consistant non pas à nier un génocide, mais à en préciser l’ampleur, les conséquences, les causes.
Mais surtout, ces lois mémorielles nous engagent dans une voie remplie d’ambiguïtés. Si le Parlement peut dire la vérité historique, alors cette dernière variera selon les pays, les périodes, les majorités politiques, les calculs grands ou petits... Tel est le paradoxe du texte qui nous est proposé.
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