RER et trains de banlieue côtoient chaque année une centaine de wagons remplis de combustibles nucléaires. Des convois dangereux qui longent régulièrement des zones peuplées. La sûreté de ces transports serait « satisfaisante » assure l’administration. Pourtant, l’un de ces wagons a déraillé fin décembre, en Seine-Saint-Denis. Ces déraillements pourraient se multiplier à cause du vieillissement des voies. Une zone inconstructible a d’ailleurs été définie sans concertation autour de la gare de triage de Drancy pour « ne pas accroître la population exposée au risque ». Riverains et cheminots y interpellent la SNCF sur les risques d’incendie et l’exposition aux radiations. Reportage.
Samedi 11 janvier, 11h. La place de la mairie du Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis, se remplit doucement. La forte concentration de toques de trappeurs, couleur canari, surprend les observateurs.
« – Excusez moi, les couvre-chefs en fourrure synthétique colorée, ça veut dire quelque chose ?
– Bien sûr, c’est le signe des militants de la TAC, la traque aux castors.
– Pardon ?
– Les CASTOR, en majuscules, ça veut dire Cask for Storage and Transport of Radioactive Materials, ce sont les wagons de matières radioactives. »
Ces chasseurs de « Castor » – ceux qui font donc frétiller les compteurs Geiger, pas ceux des rivières – sont une petite trentaine répartis sur trois villes le long de la ligne de chemin de fer : Aulnay-sous-Bois, Le Blanc-Mesnil et Drancy. « Nous sommes un collectif de lanceurs d’alertes, explique Jean-Yves Souben, militant antinucléaire et adjoint du maire du Blanc-Mesnil. Chaque traqueur a un petit réseau : de la famille, des amis, des voisins. Quand ils aperçoivent un wagon Castor, reconnaissable à son château blanc monté sur une plateforme verte, ils nous passent un coup de fil et on va vérifier. » Sur ces voies, situées en zone densément peuplée et empruntées chaque jour par les rames bondées du RER B, il passerait, d’après les militants, une centaine de wagons de matières radioactives par an. (...)
Suite à la réalisation d’une « étude de dangers » par Réseau Ferré de France, le préfet prescrit l’élaboration d’un plan particulier d’intervention autour des voies. Une zone inconstructible de 620 mètres de rayon autour de la gare est tracée [1]. Motif : « Maîtriser l’urbanisation [en vue de] ne pas accroître la population exposée au risque ». Problème : ce périmètre englobe des quartiers entiers de pavillons et d’immeubles.
Pour les habitants, la décision est dure à avaler. Leurs maisons perdent rapidement 30 % de leur valeur. Et tous s’interrogent sur ce qu’il convient de faire quand la sirène retentit sur la gare. En juin 2013, les riverains décident de former une association, le Collectif des riverains de la gare de triage (Corigat). Trois mois plus tard, ils manifestent une première fois, sans obtenir de réponses. Mais ce qui achève de mettre le feu aux poudres, ce sont les deux accidents successifs qui ont lieu en décembre. Surtout le second : le 23 décembre à 16h13, la sirène retentit pour signaler qu’un wagon de matières radioactives a déraillé. Joyeux Noël. (...)
« Actuellement, nous en sommes à un déraillement par semaine sur le triage de Drancy, s’inquiète Philippe Guiter, cheminot et représentant de Sud-Rail au Comité national hygiène, sécurité et conditions de travail de la SNCF. Je suis convaincu que le prochain accident nucléaire grave aura lieu sur le transport. »
Dans une plaquette sur le transport de matières radioactives, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) affirme que « la sûreté […] est dans l’ensemble satisfaisante ». (...)
la réglementation autorise les convois avec des wagons de matières radioactives mêlés à d’autres wagons de matières dangereuses. « La seule interdiction c’est de mélanger les explosifs et les radioactifs, précise Philippe Guiter. Et encore, la Commission européenne voudrait lever cette interdiction ! »
Le plus gros risque pour les cheminots n’est pas la perte de confinement d’un wagon, mais plutôt l’exposition aux radiations. Dans une lettre envoyée au collectif Corigat, l’Autorité de sûreté nucléaire se veut confiante. Elle assure que les radiations ne représentent pas de risque tant qu’on ne reste pas plus de 10 heures à proximité du wagon. Mais Anne-Marie Delmas, membre du Corigat et chasseuse de wagons radioactifs, remarque qu’un certain nombre de cheminots ont travaillé toute la nuit du 23 au 24 décembre à moins de deux mètres du wagon pour le remettre sur les voies. « Le lendemain, le wagon Castor a été poussé au fond de la gare. À partir de là, on l’a perdu de vue car il était caché derrière d’autres wagons. D’après le préfet, il est reparti trois jours plus tard. Pendant ce temps, je suis persuadée que beaucoup de cheminots ont été surexposés », observe-t-elle (...)
L’absence de dosimètre est reprochée de longue date à la SNCF par les militants antinucléaires et par Sud-Rail (lire notre précédente enquête, Transport de matières radioactives : les cheminots du nucléaire s’inquiètent). (...)
sur la gare de triage de Drancy, ce qui inquiète en priorité, c’est la diminution des budgets du fret alloués à la sécurité (voir notre enquête, Sécurité ferroviaire : ces questions qui dérangent la SNCF). Les cheminots se plaignent de la fermeture des ateliers de maintenance, de l’insalubrité de leurs locaux et de l’état des voies. (...)
Beaucoup de matières radioactives circulent déjà sur les routes. Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, 89 % des colis sont transportés par camions [6]. Mais ces colis n’ont pas tous la même taille, ni la même dangerosité. (...)