Haut lieu de la psychothérapie institutionnelle, la clinique psychiatrique de La Borde, près de Blois (Loir-et-Cher), continue à mettre en œuvre depuis plus de soixante-dix ans les principes d’une psychiatrie humaniste, malgré les pressions administratives et les politiques de santé actuelles.
C’est une aventure hors-normes qui se poursuit à La Borde depuis plus de soixante-dix ans.
Depuis qu’en avril 1953, le Dr Jean Oury, médecin psychiatre formé auprès du Dr François Tosquelles à l’hôpital psychiatrique de St Alban, en Lozère, y a posé ses valises accompagné d’une vingtaine de ses patients pour y mettre en œuvre les principes de ce que l’on appelle la psychothérapie institutionnelle. Une doctrine née au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale qui repose sur une vision humaniste de la prise en charge des malades mentaux.
A La Borde, il n’y pas de quartiers d’isolement, pas de contention, pas de quartiers d’agités, mais une liberté de circulation totale. Il n’y a ni murs d’enceinte, ni barrières, les soignants - que l’on appelle ici des moniteurs - ne portent pas de blouses blanches et la vie sociale y est organisée par le Club thérapeutique, une instance indépendante à laquelle appartiennent tous les pensionnaires.
C’est le Club qui a en charge de gérer la quarantaine d’ateliers dont les pensionnaires sont responsables : les chauffes - ces navettes qui effectuent les trajets entre la clinique et l’extérieur, conduites par les patients - le tabac, le bar, la poterie, le dessin, le poulailler, les écuries, les ruches, la publication du journal hebdomadaire, la bibliothèque et tant d’autres.
La parole aussi circule, à l’occasion des nombreuses réunions qui jalonnent la journée (...)
De même, les pensionnaires sont entièrement parties prenantes à l’organisation de la vie quotidienne, qu’il s’agisse du ménage ou d’aller à la lingerie, et participent à la vie de la clinique aussi bien dans les bureaux administratifs qu’à la pharmacie ou en cuisine.
Le principe est de rendre les gens responsables et d’instaurer de la circulation pour lutter contre l’isolement intérieur. (...)
La Borde, c’est un véritable éco-système : on y compte 107 pensionnaires, en grande partie schizophrènes ou psychotiques, 30 places en hôpital de jour, et une centaine de membres du personnel (psychiatres et moniteurs, mais aussi jardiniers, cuisiniers, femmes de ménage, standardistes, personnel administratif etc.)
Dans les années 70, Felix Guattari, grand ami de Jean Oury, y a attiré de nombreux d’intellectuels. Françoise Dolto y a pensé la garderie pour les enfants du personnel. La Borde avait le vent en poupe. (...)
Aujourd’hui, le regard sur la folie a bien changé, mais La Borde résiste. Et malgré le décès de Jean Oury en 2014, l’aventure continue à contre-vent de la vision dominante.
Mais c’est un véritable exercice d’équilibriste pour Marino Pulliero, l’actuel directeur de la clinique, et Flore Pulliero-Vittez, la petite fille de Jean Oury, que de réussir à concilier l’esprit de La Borde avec les exigences normatives de l’administration et les politiques de santé actuelles, aux antipodes de la vision prônée par la psychothérapie institutionnelle. (...)
"Je dois dire que je suis très pessimiste : l’état de la psychiatrie aujourd’hui en France est déplorable. On attache de plus en plus les gens, on les fait sortir alors qu’ils ne sont absolument pas en état de sortir. Les gens se retrouvent dans la rue, surtout les gens pauvres, on les retrouve en prison aussi. C’est un effet d’une société qui déconne !" Yannick Oury, psychanaliste, fille aîné de Jean Oury.