Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
RFI
Trafic de drogue en Afrique de l’Ouest : état des lieux
Article mis en ligne le 25 janvier 2022

Régulièrement, des saisies ou des événements liés au trafic de drogue évoquent la vulnérabilité de l’Afrique de l’Ouest, située à la croisée de plusieurs routes très utilisées par les narcotrafiquants. État des lieux avec Amado Philip de Andrés, directeur régional de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, dont le bureau régional se trouve à Dakar, au Sénégal. Entretien.

Amado Philip de Andrés : Si on voit la situation telle qu’elle était en Afrique de l’Ouest en 2008 et qu’on regarde la situation maintenant, c’est un peu « back to the future » (« retour vers le futur »). L’Afrique de l’Ouest est devenue une plaque tournante du trafic de résine de cannabis. En 2021, 57 tonnes de cannabis ont été saisies dont une macro saisie de 17 tonnes au Niger. Les enquêtes et rapports de l’ONUDC, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT/EMCCDA), l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) à Paris et le Groupe d’experts sur le Mali de la résolution 2541 de 2020 du Conseil de sécurité ont confirmé que la route du cannabis traverse le Sahel et ont identifié des individus faisant partie des groupes armés connectés avec les trafiquants de haschisch dans la sous-région du Sahel. De plus, nous avons un trafic de cocaïne qui cherche toujours à rediriger une partie de sa production vers l’Afrique de l’Ouest pour atteindre l’Europe à travers la mer Méditerranée et les Balkans. Ce qu’on observe maintenant, c’est un changement des modus operandi, des mêmes pays d’origine du trafic, sur les mêmes routes transatlantiques. En 2008, les narcotrafiquants utilisaient surtout des sous-marins fabriqués en Amérique du Sud. Mais depuis 2019, 2020 et 2021, ils utilisent plutôt des bateaux de pêche qui ont été adaptés pour pouvoir acheminer à chaque voyage entre une tonne et une tonne et demie de cocaïne. Ce qui a changé aussi, c’est que les réseaux de trafiquants sont devenus multinationaux. (...)

les narcotrafiquants ont découvert qu’au Sénégal, au Ghana ou au Cap-Vert et dans plusieurs pays de la côte, il y a une classe moyenne susceptible de devenir une nouvelle base de consommateurs et le trafic actuel les vise particulièrement. (...)

La consommation locale en Afrique de l’Ouest est-elle en forte augmentation ?

Au Sénégal, par exemple, depuis deux ans et demi, l’ONUDC fournit un appui technique au gouvernement pour mettre en place un observatoire de la consommation des drogues et du trafic, ayant comme point focal le Comité interministériel de lutte contre la drogue –composé notamment du ministère de la Santé et du ministère de l’Intérieur, avec plusieurs universités du Sénégal et une contribution très généreuse de la part de la République française, combinée avec des fonds du gouvernement du Sénégal. Car au-delà de la consommation de cannabis, il y a une consommation de cocaïne, de tramadol (médicament opioïde) et de nouvelles substances psychoactives qui viennent d’Asie. Nous estimions avoir, par exemple, près de 10 000 toxicomanes au Sénégal, mais les derniers chiffres de prise en charge font état de plus de 24 000 personnes et je pense que, d’ici à deux ans, elles seront plus de 50 000. Avant, nous observions que 5% à 8% de la cocaïne qui transitait dans la région, restait sur place, mais aujourd’hui ce chiffre est passé à 10%-17%. Cela indique qu’il y a une base de consommateurs qui se développe au niveau régional et c’est une grande source d’inquiétude. (...)

Un autre gros problème, qui s’est étendu notamment en Afrique de l’Ouest, c’est la consommation de tramadol. Un opioïde qui provient principalement du sous-continent indien, dont la consommation s’est d’abord développée dès 2018 sur l’ensemble de l’Afrique du Nord, au Maghreb et au Machrek. Le tramadol s’est ensuite répandu comme une véritable pandémie en Afrique de l’Ouest où, désormais, on en trouve partout. De plus, c’est un produit qui se combine très bien avec l’usage de la cocaïne et parfois avec les nouvelles substances psychotropes. C’est devenu un problème majeur en Afrique de l’Ouest, non seulement dans les pays du Sahel mais aussi sur tous les pays de la côte et c’est actuellement en train de se répandre en Afrique centrale. (...)

l’ONUDC s’inquiète des connexions entre certains individus faisant partie des groupes armés avec les trafiquants de haschisch dans la sous-région du Sahel.

Ainsi, il faut bien comprendre le fonctionnement des terroristes. En 2008, quand al-Qaïda au Maghreb islamique a commencé à se positionner à Gao et dans des endroits très spécifiques du Sahel et du Sahara, c’était du terrorisme. Mais depuis, ils se sont mis à fonctionner comme un groupe criminel transnational organisé et ils essaient de passer inaperçus en se mêlant aux communautés locales. (...)

Chez al-Qaïda ou Boko Haram, ils font parfois partie de la population alors que chez Daech, le modus operandi est complètement différent, ils s’imposent comme un groupe terroriste extérieur et leur relation avec la communauté est complètement différente.

Pour affronter ce fléau, il y a bien sûr la réponse militaire, mais il faut aussi commencer à se demander comment couper les racines de cette connexion avec les jeunes. En Afrique, dans cette région, 72% de la population a moins de 23 ans. Il y a un problème de développement, cette population très jeune rêve de progresser comme en Europe mais elle est frustrée. La moyenne d’âge en Europe est de 45 ans, ici elle est de 23 ans. Qu’est ce qui se passe pour un jeune qui n’a rien dans un village perdu au Mali, qui n’a aucune perspective ? À quoi pense-t-il quand il rencontre des trafiquants de haschisch, de cocaïne ou des terroristes ? (...)

Quel rôle peuvent jouer les Nations unies face à cette situation ?

Je pense que nous avons plusieurs types de rôle à jouer et le premier, c’est d’aider nos clients, les pays, à travers une assistance technique de qualité. Nous développons des programmes internationaux de lutte qui sont nés ici au Sénégal pour certains d’entre eux, comme AIRCOP sur le trafic aérien ou le Programme de contrôle des conteneurs, créé en 2003, qui a été développé conjointement par l’ONUDC et l’Organisation mondiale des douanes (OMD) pour aider les gouvernements à créer des structures de renforcement durables dans certains ports afin de minimiser les risques d’utilisation de conteneurs pour le trafic de drogues, la criminalité transnationale et le trafic des drogues. Mais aussi, nous aidons les pays à adapter leur législation en développant par exemple des droits à l’assistance sanitaire pour faire face à la multiplication des consommateurs qu’il ne faut pas considérer comme des criminels. (...)

Le troisième point qui me paraît très pertinent, c’est le renforcement des capacités étatiques pour lutter contre le trafic de stupéfiants et la criminalité transnationale organisée. (...)

vec la Mauritanie, le Sénégal, tous les pays de la côte, mais aussi avec le Burkina Faso et les pays du Sahel, l’ONUDC travaille sur la façon dont on peut soutenir les pays de la région à renforcer les capacités d’investigation et de coordination inter-étatique, mais aussi les capacités de poursuite des délits. Il faut raisonner sur plusieurs pays comme le font les trafiquants et pouvoir travailler sur plusieurs bases dans plusieurs endroits. En plus, il faut renforcer la coopération entre les procureurs et le système pénitencier à l’image de ce que fait le Burkina Faso actuellement avec ses prisons. Donc, il faut regarder toute la chaîne judiciaire, investigation, coopération d’intérêt régional, coopération avec les autres juridictions en Amérique latine et en Europe, emprisonnement et réinsertion, sinon nous aurons toute une génération perdue.