
Dans « Le peuple du Larzac », Philippe Artières inscrit la lutte des paysans aveyronnais des années 1970 dans l’histoire longue. De l’occupation romaine aux camps d’internement de membres du FLN jusqu’aux problématiques actuelles de patrimonialisation du paysage, il décrit « une zone frontière où les identités sont brouillées et les destins rebattus ». (...)
Il y a cinquante ans, un territoire rural isolé faisait son entrée dans le paysage médiatique français : le Larzac. En 1971, les paysannes et paysans du causse lancèrent une lutte d’une dizaine d’années contre l’extension d’un camp militaire sur leurs terres agricoles. Bien qu’elle ait eu une répercussion sur les mouvements révolutionnaires post-Mai 68, 1971 ne marque pas l’an I du plateau : le combat le plus médiatisé du Larzac s’inscrit dans un geste millénaire de combats et de rencontres, dont l’historien Philippe Artières retrace l’histoire dans Le peuple du Larzac.
La singularité du Larzac tient d’abord à sa nature géologique et géographique. Sur ce plateau karstique à l’écart des grandes voies commerciales s’est construite une civilisation originale, à l’écart de tout pouvoir central, dès la plus haute Antiquité. Bien qu’isolé, le causse est pourtant connecté au reste du monde, qu’il réfléchit selon ses propres modalités et temporalités. Ainsi, à la suite de la conquête romaine du Larzac, au IIe siècle avant notre ère, Celtes et Ligures s’y sont mélangés, initiant une longue série d’immigrations et de métissages sur le causse. Cela fait dire à Philippe Artières que « personne n’est originaire du Larzac, on y vient toujours d’ailleurs ».
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« le Larzac est un peuple-monde », une communauté se renouvelant sans cesse au gré des apports extérieurs.
« Le troupeau a été un acteur très puissant de l’histoire du Larzac jusqu’à nos jours » (...)
C’est cependant des autochtones que vint la résistance la plus forte, lorsqu’en 1971, le ministère de la Défense envisagea unilatéralement d’étendre le camp de La Cavalerie aux dépens des terres agricoles alentour. Cinquante ans après les faits, la mobilisation que les paysannes et paysans surent inventer demeure un modèle du genre.
(...) L’abandon du projet d’extension du camp militaire, annoncé par François Mitterrand dès son élection en 1981, ne marqua pas pour autant la mort du bouillonnement politique larzacien. Le modèle agricole indépendant de l’État que poursuit la Société civile des terres du Larzac, née en 1985, nourrit toujours les imaginaires antiproductivistes, à l’instar du fonds de dotation La Terre en commun à Notre-Dame-des-Landes. Et, à plusieurs reprises, le Larzac continua de faire la une des journaux, comme en 1999, lors du démontage d’un restaurant McDonald’s à Millau (Aveyron), qui attira, en plein mouvement altermondialiste, une vague de sympathie internationale aux auteurs de l’action.