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Touristes, qu’est-ce que vous faites là ?
Article mis en ligne le 27 juillet 2020
dernière modification le 26 juillet 2020

J’habite Nice, sur la Côte d’Azur. Je vous inviterai bien dans mon salon, mais il est déjà occupé par des demandeurs d’asile. Et vous, en fait, j’aimerais bien que vous partiez. Parce que notre ville ne peut pas accueillir toute la richesse du monde. Et que j’en ai marre de vous, pas en tant que personnes, mais en tant que complices d’une économie qui n’est qu’une course effrénée vers le mur.

J’y ai cru, pourtant. Après le confinement, et ce beau printemps volé, il était une chose que je me répétais en guise de mantra consolateur : cet été, au moins, nous serons tranquilles, sans touristes. Sans cette engeance annuelle des disgracieuses outres à KFC venues suinter leur huile solaire sur nos trottoir et les plages de notre belle Méditerranée.

Las ! Chaque soir quand, tel un matou arpentant consciencieusement son territoire, je dérive dans les ruelles du Babazouk, une cannette de bière fraiche à la main, vous êtes là, partout, en grappe, jaillis des entrailles climatisées de notre saloperie d’aéroport, où vous débarquez de tous les coins du monde sans masques ni tests, si bien que notre département est passé du vert au rouge et que les futurs re-confinés que nous sommes vous disent merci. Vous êtes là, à bouffer des glaces, à marcher à deux à l’heure dans les rues, à vous extasier devant nous comme devant des ours de cirque. A nous demander où est l’église machin en anglais et sans bonjour ni merci, ce qui fait que je vous envoie généralement dans le sens opposé, histoire de vous apprendre un peu la politesse.

Vous êtes là, c’est gentil d’être venus, mais en fait, j’aimerai bien que vous partiez. Notre ville ne peut pas accueillir toute la richesse du monde.

Vous allez me dire : ça relance l’économie. La belle économie que voilà ! Ces portefeuilles sur pattes ne viennent que pour inonder de leur thune des grands magasins qu’ils ont déjà chez eux, et qui s’appellent Zara, H&M, MacDonald’s et j’en passe, qui généralement d’ailleurs ne payent même pas leurs impôts en France, et qui pour nous, locaux, vont se borner à créer une poignée de boulots précaires pour étudiants fauchés. (...)

Que ce soit bien clair une fois pour toute, l’économie touristique est une impasse, pire, une course effrénée vers le mur. (...)

Ce n’est pas de la xénophobie, et j’encourage tout le monde à venir s’installer où il le souhaite pour y faire ce que bon lui semblera. Refugees welcome. Le problème du touriste, ce n’est pas qu’il soit étranger, c’est qu’il soit le complice plus ou moins conscient d’une vaste entreprise de dégueulassage de la nature, qui rend plus ou moins invivable tous les endroits où elle a le malheur de poser son groin.

Regardez ce qui s’est passé, il y a de cela quelques mois, avec le phénomène des « lieux instagramables », ces endroits si beaux que, une fois postées sur Instagram, les photographies qui en étaient faites devenaient virales, entrainant sur place une masse de touristes venus à leur tour prendre leur photo. Conséquence : une destruction en quelques semaine, voire quelques jours, d’une bonne partie des écosystèmes en question, piétinés par des hordes d’abrutis satisfaits d’avoir obtenu quelques likes. Bien joué. (...)

Mais serait-ce trop demander que tout ceci soit encadré ? Avec un système de limitation de visas, par exemple ? Histoire de ne pas avoir l’impression chaque été de vivre dans la succursale Provence de Disneyland Paris ?

Car si ça fait plaisir au maire, l’inénarrable Estrosi, le grillageur fou, l’ennemi des apéros plage, c’est bien qu’il n’est pas là, lui, à devoir jouer des coudes en bas de chez soi juste pour aller acheter un sachet de fromage râpé pour les pâtes au pistou à l’épicerie du coin.

Touristes, je n’ai rien contre vous en tant que personnes, sachez-le. Une bonne partie d’entre vous sont probablement des personnes extraordinaires. Certains sont des prolos ayant économisé durement pour quelques jours de retraite au soleil. Mais j’en ai marre. (...)

Et, surtout, puissiez-vous garder en mémoire cette interrogation fondamentale du Bruce Chatwin : « Qu’est-ce que je fais là ? » (...)