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Total, ou comment les multinationales sont devenues incontrôlables
De quoi Total est-elle la somme ? Multinationales et perversion du droit, suivi de Le Totalitarisme pervers, par Alain Deneault, éditions Rue de l’échiquier - Écosociété, 512 p., 23,9 €.
Article mis en ligne le 13 mai 2017
dernière modification le 10 mai 2017

Dans « De quoi Total est-elle la somme ? », le philosophe Alain Deneault explique comment la firme pétrolière atteint ses objectifs en jouant habilement avec les législations des différents pays. Des techniques par lesquelles Total et les multinationales deviennent plus puissantes que les États.

C’est un livre « chargé », en dit son auteur — une « somme », comme le signale le titre. Et même une première : aucun travail de synthèse, combinant histoire économique, industrielle, mais aussi accusations, litiges ou condamnations n’avait encore été réalisé autour de cette multinationale, née en 1924 avec la Compagnie française des pétroles (CFP). Pour Alain Deneault, connaître ce passé était pourtant indispensable pour comprendre comment Total fonctionne et d’où elle tire sa puissance. Établir un diagnostic afin de lui opposer des stratégies adaptées, voilà l’ambition de De quoi Total est-elle la somme ? Multinationales et perversion du droit, paru récemment aux éditions Rue de l’échiquier – Écosociété. (...)

« Comploter, coloniser, collaborer, corrompre, conquérir, délocaliser, pressurer, polluer, vassaliser, nier, asservir et régir » : ces 12 verbes d’actions sont illustrés par des histoires avérées où Total tient le premier rôle. Certaines nous sont bien connues (...)

« La loi qui domine ne sera plus celle des États mais celle du marché »

D’autres histoires sont moins connues. Deneault rappelle ainsi comment la multinationale a collaboré avec le régime raciste d’Afrique du Sud pendant l’apartheid, en y important, raffinant et distribuant du pétrole. Comment elle a su profiter d’affrontements armés en Angola et en Libye (où l’État français était à la manœuvre) pour conquérir des gisements jusqu’alors inaccessibles.
Dans une Birmanie contrôlée par la junte militaire, Total a « asservi » une main d’œuvre bon marché pour installer une exploitation offshore et un gazoduc (...)

En Bolivie, où le gouvernement d’Evo Morales met en place une consultation des communautés autochtones avant l’autorisation d’exploiter, Total « déguisera en concessions faites aux communautés des méthodes de recherche si controversées qu’elle n’aurait jamais eu le loisir de les développer en France. Au passage, les compensations qu’elle propose aux populations autochtones sont dérisoires. (...)

Comment une multinationale peut-elle agir de la sorte et rester impunie ? Grâce à son rapport à la loi, répond Deneault. « Il ne s’agit pas, pour des firmes comme Total, de régner sur un mode souverain, à coups de décrets et d’édits, tel un État, mais de transformer le rapport des États à la conjoncture, de façon à ce que le législateur cherche le plus possible à rendre conforme la loi aux rapports de force instaurés par les multinationales, dont la réalité acquerra le statut d’axiome. La loi qui domine ne sera plus celle des États mais celle du marché au sens d’un champ transcendant le secteur public. »
« Le génie est sorti de la bouteille »

Concrètement, ce pouvoir repose sur quatre points (...)

Un État peut-il aujourd’hui reprendre le contrôle face à un tel pouvoir organisé ? « Non, ce n’est pas possible, répond clairement Alain Deneault, interrogé par Reporterre. C’est le propre d’une multinationale que d’être multi-nationale. Personne ne peut légiférer sur la totalité de ses actions. » (...)

« Le génie est sorti de la bouteille, poursuit-il. Auparavant, ces entreprises ne pouvaient pas élargir leur activité à souhait. On les a laissé faire, elles se sont organisées pour qu’on les laisse faire, et sont devenues tellement puissantes qu’elles n’ont plus aujourd’hui de contre-pouvoir. »

Alors de deux choses l’une. Soit l’on cherche à faire advenir une autorité capable d’imposer des standards progressistes (salaire minimum, retraites, sécurité au travail, respect de l’environnement…) à l’échelle mondiale - « pour l’instant c’est une vue de l’esprit, car les structures comme l’Union européenne ou l’Organisation mondiale du commerce n’ont pas l’autorité de faire valoir ça comme des lois, et qu’elles sont totalement investies par des lobbies et dirigeants politiques dont la carrière dépend des multinationales ». Soit l’on milite pour la dissolution pure et simple des multinationales, ce que fait Alain Deneault.

Ces firmes représentent le pouvoir totalitaire version XXIe siècle (...)

que faire pour ne pas céder au découragement ? D’abord comprendre où est le pouvoir. « Les Gabonais qui manifestent en France contre la situation dans leur pays ne vont pas devant leur ambassade, mais devant la tour Total, à La Défense. » Et cela peut marcher : « Il y a des exemples de situations où l’on a suffisamment résisté, en Amérique du Sud, en Islande, pour qu’à un moment donné des investisseurs abdiquent et quittent le pays. On y arrive projet par projet, filiale par filiale, mais on n’arrive jamais à bout d’une multinationale car les multinationales sont trop ramifiées et fragmentées. »

Sans croire aux solutions miracles, Deneault plaide pour des « minorités intenses ». « Le progrès a toujours été l’œuvre de minorités. (...)