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Mediapart
Tirailleurs sénégalais : le ministère des armées a inventé des « recherches génétiques »
#tirailleursSénégalais
Article mis en ligne le 12 novembre 2022

La ministre Geneviève Darrieussecq a inauguré en janvier 2022 une plaque rendant hommage à vingt-cinq tirailleurs sénégalais enterrés dans un cimetière du Rhône. Contrairement à ce qu’a affirmé le ministère des armées à l’époque, aucune recherche génétique n’a permis d’identifier les corps. Ce qui laisse planer un doute sur l’identité des soldats inhumés à cet endroit.

Elle saluait, plus précisément, la mémoire de vingt-cinq tirailleurs jusqu’alors considérés comme « inconnus », dont l’identité aurait finalement été retrouvée et inscrite sur deux plaques, en forme d’hommage. « Vingt-cinq noms et prénoms. Vingt-cinq hommes du 25e régiment de tirailleurs sénégalais. […] Autant de soldats morts pour la France en juin 1940, il y a quatre-vingts ans, ici même. Autant de combattants inconnus désormais nommés, connus, reconnus et honorés », déclarait la ministre avec émotion dans le « Tata sénégalais » du Chasselay (Rhône), cimetière d’inspiration ouest-africaine érigé sur les lieux d’un massacre de tirailleurs commis par la Wehrmacht le 20 juin 1940.

Sur les 198 stèles du cimetière de Chasselay, quarante-huit portent en effet la mention « inconnu ». Malgré un important travail mené entre 1940 et 1943 par le secrétaire général de l’Office départemental des anciens combattants de l’époque, Jean Marchiani, toutes les victimes n’ont pas pu être identifiées.

Dans une note destinée aux journalistes, le ministère précisait ce qui avait finalement permis d’identifier ces soldats : des tests ADN. « Identifiés grâce à des recherches génétiques, ces vingt-cinq soldats sont le symbole du courage et de l’abnégation de ce 25e régiment de tirailleurs », détaillait-il.

Le même ministère a dû reconnaître, il y a quelques jours, qu’il n’y avait jamais eu de recherches ADN effectuées sur les restes inhumés au Chasselay.

Intriguée par la mention de « recherches génétiques », une historienne qui connaît bien le dossier, Armelle Mabon, enseignante-chercheuse à l’université Bretagne Sud désormais à la retraite, avait en effet demandé aux autorités françaises de lui communiquer, au nom du droit d’accès aux documents administratifs, les pièces relatives à ces investigations. (...)

La même direction détaille : « Il s’avère, en effet, que le communiqué de presse ayant entouré le déplacement de Mme Darrieussecq à Chasselay en janvier dernier et qui laisse entendre que ces vingt-cinq combattants ont pu être identifiés “grâce à des recherches génétiques”, était malheureusement erroné. »

Elle précise : « L’Office national des combattants et victimes de guerre (ONACVG) qui administre la nécropole de Chasselay a indiqué que de telles recherches n’avaient jamais eu lieu. »

L’information « erronée » avait pourtant largement circulé, notamment dans la presse locale, sans être corrigée. (...)

Le communiqué de presse erroné lui-même est toujours en ligne. (...)

L’historienne Armelle Mabon, spécialiste de l’histoire du massacre de Thiaroye, qui a également travaillé sur les archives concernant le « Tata sénégalais », a passé en revue les vingt-cinq noms figurant sur les deux plaques d’hommage inaugurées en janvier 2022 par Geneviève Darrieussecq. Elle dit avoir identifié « sept ou huit » noms de soldats « dont on est quasiment sûrs qu’ils ont été inhumés à Chasselay », car des plaques ou des éléments d’identification ont été retrouvés dans des fosses communes.

« Au moins onze » noms figurant sur ces plaques sont, en revanche, ceux de tirailleurs jusqu’alors portés disparus, affirme également l’historienne après avoir consulté les archives de leurs dossiers au Service historique de la défense de Caen. (...)

Qu’est-ce qui a permis de déterminer que les corps de ces onze « disparus » se trouvaient, eux, à Chasselay ? Sans réponse du ministère concerné, il n’est donc pas possible de le savoir. (...)

La politique mémorielle de la France a déjà fait l’objet d’interrogations et de critiques, à la mi-octobre, après que la France a restitué à l’Algérie, au milieu de crânes censés appartenir à des résistants algériens décapités, ceux de supplétifs locaux de l’armée française.