
Thomas Sankara, président du Burkina Faso de 1983 à 1987, est devenu un mythe de courage et de dignité. Assassiné en 1987, il avait fait de l’anti-impérialisme son combat. Un président intègre, dont le souvenir reste gravé dans la mémoire des peuples, alors qu’en ce moment même, au Burkina, les jeunes s’opposent au nouveau coup de force constitutionnel de l’actuel président, Blaise Compaoré.
Debord ou Chamoiseau ont dit comment les dominants tentaient de nous couper de notre mémoire et de fait de notre histoire : la première intention de la domination spectaculaire était de faire disparaître la connaissance historique en général (1). J’essaie ici de les imiter humblement et de parler de notre histoire. À nous le peuple. Pour ne pas oublier. Voici un portrait du président qui roulait en R5.* (...)
E Kraaa !*
Thomas Sankara fut le jeune président d’un des pays les plus pauvres de la planète, la patrie des hommes intègres : le Burkina Faso. Capitaine, il avait combattu à Madagascar, puis la lecture de « L’état et la Révolution » de Lénine lui avait ouvert les yeux. Pour autant il restait simple, capable de jouer de la musique avec Richard Taylor ou Rawlings. Il parlait de libérer le génie créateur des africains.
Idéal révolutionnaire, règne court ! Il n’eut que peu de temps pour changer son pays (entre 1983 et 1987). C’était le temps de l’agence de voyage tiers-mondiste Point Mulhouse, les communistes français avaient déjà un clown : Georges Marchais. En 1986, toute une génération avait espéré refaire un looping à la 68 ! On ne savait pas encore que Mitterrand avait eu la Francisque. Daniel Prévost passait à la télé. Thomas Sankara, aliasTom Sank, arbitrait alors un match de foot entre membres de son gouvernement, afin de secouer ceux que la fonction aurait pu alourdir.
Misticraaa !*
Au chapitre des décisions exemplaires, Sankara décréta la gratuité des loyers durant toute l’année 85. Lors du sommet de l’OUA, à Addis Abeba, raout de dictateurs en costumes, il prononça avec son humour habituel : « Je dis que les africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque Mondiale pour payer. »
On ne riait pourtant pas beaucoup chez Mengistu, dictateur éthiopien et stalinien qui menait une guerre à outrance à l’Erythrée. Provocateur, Sankara tendait le pied au lieu de la main à ces confrères dictateurs. (...)
Dignité et coups d’éclat
Spécialiste des coups d’éclat, il enflamme la jeunesse lors de ses tournées africaines ; il vend les voitures de luxe du gouvernement et organise des procès contre la corruption mais tranchant avec de vieilles habitudes du pouvoir, sans qu’aucune peine de mort ne soit prononcée.
Soucieux de dignité et opposé au principe de l’aide alimentaire, il décide aussi d’interdire le passage du Paris-Dakar : « Les pompes sont un alibi qui cache des actions moins nobles. » (4) L’indépendance économique et la production locale étaient son credo. (...)
Sankara fait encore la fierté des burkinabés parce qu’il leur a dit, à eux, aux jeunes des C.D.R, épris de liberté, qu’après des siècles d’esclavage, de déportation, qu’après la colonisation, il fallait retrouver leur dignité en faisant les choses par eux-mêmes !
Parce qu’il était de ses militaires qui obéissent en commandant. Un air de Sous-Commandant Marcos balayait déjà l’Afrique sub-saharienne. Un douanier de la vieille génération me confiera : « Un beau jour moi qui étais dans l’armée, mon vieux, on nous dit que ce sont les soldats qui commandent, hein ? Tu imagines, moi qui étais formé à l’école militaire française ! »
Assassiné aux marches du palais
Certains se souviennent qu’Alpha Blondy avait mis le feu au stade du 4 septembre. Et tous ceux qui y étaient, et encore plus ceux qui n’y avaient pas été, nous racontait cette fête africaine joyeuse, déchaînée, fraternelle, parce qu’extraordinairement jeune ! (...)
Le 15 octobre 1987, des bruits d’armes sont entendus. Sankara déclare à ces ministres : « Restez ici, c’est à moi qu’ils en veulent ». Il sort du palais, en short, les mains en l’air. On l’abat, douze personnes avec lui.
Un mythe
Sankara est devenu un mythe, celui du courage et de l’anti-impérialisme. Lui qui voulait s’affranchir de la tutelle de la France, « sortir d’une misère asservissante », ne reconnaîtrait pas son pays devenu le bon élève de la Françafrique et le paradis de l’Humanitaire.
Sankara souhaitait connaître le Groenland. Il doit y être désormais, tant dans nos cœurs il fait froid. Nous, on était là avec nos amis sur cette décharge où ils avaient mis son corps et celui de ses fidèles ; il faisait chaud comme tous les hivers à Ouaga, l’air était sec, et il ne me venait aucune larme, sauf à l’intérieur.
Non la cour ne dort pas...