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Terres agricoles : l’équivalent de la région Paca a disparu en cinquante ans
Article mis en ligne le 3 juin 2022

Le béton couvre les champs : entre 1970 et 2020, l’équivalent de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a disparu, selon un rapport de la Safer, la fédération chargée de réguler le foncier agricole.

Les terres agricoles sont en piteux état. C’est ce que décrit la dernière édition du rapport annuel de l’antenne nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), publié le 24 mai. L’organisme y dresse un panorama inquiétant de l’état du marché foncier rural. Urbanisation, concentration des exploitations, accaparement des terres… Ces dynamiques se sont accentuées l’année dernière, mettant en péril l’essor d’un modèle agricole respectueux du vivant. (...)

Le bétonnage est particulièrement marquée sur la côte ouest du territoire et dans l’arrière-pays méditerranéen. Les responsables, note le rapport, sont tout autant les particuliers que les personnes morales de droit privé (sociétés commerciales, associations, fondations…).

La Safer explique cette hausse spectaculaire par la relance de l’économie post-confinement. Autre hypothèse : les acteurs privés ont peut-être anticipé certaines restrictions de la loi « Climat et résilience », qui fixe l’objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050. L’approche de sa mise en application a peut-être « accéléré » les projets immobiliers, suggère l’organisme, et incité les bétonneurs à se ruer sur les terres agricoles avant qu’il ne soit trop tard. (...)

Ce phénomène peut interroger : le marché des terres agricoles est en théorie régulé par les Safer, qui jouent un rôle de « gendarme » du foncier rural. Toute vente doit obligatoirement être signalée aux Safer locales. Si elles considèrent que le prix d’achat, l’acheteur ou son projet ne sont pas adéquats, elles peuvent « casser » la transaction en utilisant leur droit de préemption, et choisir elles-mêmes le nouvel acquéreur. Comment se fait-il que l’urbanisation de terres agricoles passe sous leur radar ? « Ce sont les collectivités locales qui décident de l’usage du foncier dans leurs territoires, explique à Reporterre le président de la fédération nationale des Safer, Emmanuel Hyest. Si elles décident [dans leur plan local d’urbanisme, PLU] de transformer un terrain classé comme agricole en une “zone à urbaniser”, les Safer ne peuvent plus intervenir. » (...)

Le marché des maisons de campagne a explosé

En parallèle, le marché des maisons de campagne (c’est-à-dire les résidences secondaires vendues avec un terrain agricole ou naturel de moins de 5 hectares) a lui aussi explosé. (...)

Il est, là encore, difficile pour les Safer de préserver les terres agricoles qui font partie de ces propriétés (...)

Un autre nuage noir flotte au-dessus des champs : celui de l’agrandissement « excessif » des exploitations. Entre 1970 et 2020, leur nombre a diminué de 76 %, passant de 1 588 000 à 389 500. Leur taille n’a quant à elle fait que gonfler : sur la même période, elle a été multipliée par 3,64 (évoluant, en moyenne, de 18,8 à 68,6 hectares). Les fermes sont de plus en plus grandes, et les agriculteurs, eux, de moins en moins nombreux. (...)

Des groupes industriels accaparent des milliers d’hectares de terres

Ces agrandissements vont de pair avec le déclin progressif des exploitations individuelles, au profit de sociétés agricoles.

(...) Selon les estimations d’Emmanuel Hyest, environ 20 % d’entre elles se livrent cependant à un usage « détourné » des formes sociétaires. Les Safer n’ont en effet, pour le moment, aucun droit de regard sur les cessions de parts des sociétés. La forme sociétaire permet à des agriculteurs de revendre leurs terres aux mieux-disants, sans aucun contrôle. Cela facilite l’accaparement de milliers d’hectares de terres par des exploitants intensifs ou des groupes industriels, comme l’a documenté la journaliste Lucile Leclair dans son livre Hold-up sur la terre (Éditions du Seuil / Reporterre). (...)

Les jeunes agriculteurs et la biodiversité sont les premières victimes de ce phénomène. (...)

« Ce qu’il faut, c’est avoir des agriculteurs partout sur le territoire, avec des productions diverses », estime Emmanuel Hyest. Les menaces qui s’exercent sur le foncier mettent selon lui en péril la résilience du pays. (...)

UNE NOUVELLE LOI PLUS RESTRICTIVE ?

Pour le moment, la Safer ne contrôle pas les cessions de parts des société agricoles, ce qui l’empêche de lutter efficacement contre l’accaparement des terres. La loi Sempastous, qui devrait entrer en vigueur d’ici la fin de l’année, pourrait changer la donne. (...)

Cette nouvelle loi parviendra-t-elle pour autant à freiner l’appétit foncier des multinationales ? Dans son livre Hold-up sur la terre, la journaliste Lucile Leclair émet quelques doutes. Les règles du marché des ventes de sociétés sont plus souples que celles du marché foncier classique, explique-t-elle. (...)

Le principe est d’autoriser de grands groupes à acheter des terres, à condition qu’ils cèdent quelques hectares à de jeunes agriculteurs en contrepartie. (...)