
La nouvelle, attendue, est tombée le 1er juin. Les États-Unis
ont décidé de sortir de l’Accord de Paris sur le climat, six
mois seulement après son entrée en vigueur. Les modalités
n’en sont pas encore toutes connues, mais la décision est prise, bien
qu’elle ne peut avoir d’effets immédiats. Trois Présidents avaient refusé
de ratifier le Protocole de Kyoto (Bill Clinton, Bush Jr., Barack Obama) qui
organisait la régulation climatique mondiale, signifiant au monde que
le mode de vie américain n’était pas négociable. En signant, à la fin de
son second mandat, l’Accord de Paris Barack Obama avait envoyé un
signal fort au monde et semblait engager son pays dans un partenariat
solide avec la Chine sur cette question, coopération qui fut décisive pour
l’adoption de l’Accord. Conformément à ses engagements électoraux,
Donald Trump revient brutalement sur cette trajectoire.
Deux options s’offrent à lui. Soit sortir de l’Accord de Paris, mais
avec une prise d’effet seulement après le 4 novembre 2020, ce qui,
compte tenu de l’incertitude sur un second mandat, aurait peu d’effet
juridique. Soit quitter le dispositif de la Convention-cadre des Nations unies
adopté lors du Sommet de la terre en 1992 et se priver dès lors
de toute influence sur les Conférences des parties annuelles. Mais
le vrai problème n’est pas là. Il tient au fait que dans la pratique les
États-Unis envoient un message fort au monde : ils ne tiendront pas
les engagements de l’Accord de Paris, même s’il leur est impossible
de le torpiller. Une telle annonce permettra aux pays qui avaient
dissimulé leur réticence de s’enhardir, voire peut-être de se regrouper
et miner de l’intérieur les efforts consensuels qui avaient été décidés.
En réalité Donald Trump n’a pas besoin d’attendre quatre années
pour prendre des mesures dont les effets délétères sur le climat seront
considérables. L’Accord adopté à Paris est une déclaration d’intention
mais n’est assorti d’aucune mesure coercitive ou punitive. On est
très loin par exemple du niveau de contrainte ou de sanctions du
Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP). Il repose sur la bonne
volonté des cosignataires. Sans augmenter ses émissions de gaz à
effet de serre, ce qui est le cas depuis plusieurs années, avec 14 % des
émissions mondiales, les États-Unis se placent en deuxième position
derrière la Chine. Les mesures les plus destructrices seront prises
dans le domaine de la finance et impacteront de multiples structures
dédiées au climat et qu’ils contribuent à faire vivre. Washington
participe à hauteur de 25 % (15 millions de $) au budget de la
Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique
(CCNUCC).
Les États-Unis contribuent pour 40 % au budget de
fonctionnement du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat) qui assure un travail de veille scientifique
et propose des préconisations aux gouvernements. Il joue un rôle
central dans la bataille des idées et a énormément contribué à faire
reculer les thèses climato-sceptiques. Si cette aide lui était retirée
son avenir serait menacé.
Mais surtout, c’est dans le domaine du
financement des pays pauvres pour les aider à s’adapter aux effets
du changement climatique que l’impact sera le plus fort. Prenant appui
sur le principe de la « responsabilité commune mais différenciée »
acté en 2009 par la Conférence de Copenhague et auquel les pays
du Sud sont très attachés, il avait été décidé de créer un Fonds vert
qui devait à l’horizon 2020 être alimenté à hauteur de cent milliards
de $ par an. Si à cette date, lors de l’évaluation de l’Accord de Paris,
cette somme n’était pas réunie, c’est la poursuite même de tout ce qui
avait été envisagé qui pourrait être remise en cause. Cette question
va devenir le point de friction central des rapports Nord-Sud qui au
fil des décennies se sont quasiment réduits à cette seule question.
Donald Trump ne croit pas à la réalité du changement climatique.
Il s’appuie au demeurant sur de larges courants de l’opinion publique
américaine qui est très tranchée sur ce dossier. Il est persuadé que
l’Accord de Paris est un outil de « redistribution massive de la richesse
des États-Unis vers d’autres pays ». Tout comme le libre-commerce
constitue à ses yeux une machine à piller son pays. La Chine aurait
inventé le concept de changement climatique pour s’attaquer à la
productivité des entreprises américaines. Il prétend être animé par
la recherche d’une autonomie énergétique et n’hésite pas à relancer
le charbon, développer gaz de schistes et pétrole, bref toutes les
énergies fossiles et carbonées les plus dangereuses pour le climat.
Seule la faiblesse du cours du baril de pétrole lui interdit d’aller plus
loin dans ce domaine, en rendant l’exploitation des gaz de schistes
insuffisamment rentables. L’Arabie saoudite, souhaitant garder
ses parts de marché pétroliers, fait tout pour ne pas trop relever le
cours du baril rendant périlleux l’équilibre des finances publiques
de quelques États (Russie, Venezuela, Algérie).
Avec les relations avec Cuba, le climat constitue l’un des rares
points sur lesquels Donald Trump pouvait espérer ne pas connaître
un désaveu intérieur dans son entreprise de démolition de pans
entiers de la politique d’Obama.
Mais la surprise est au rendez-vous.
Depuis une vingtaine d’années des initiatives se multiplient et des
réseaux d’acteurs se constituent pour agir dans le domaine de la
résistance au changement climatique et apparaissent aujourd’hui
comme des forces incontournables qui échappent à toute injonction
gouvernementale. En effet, c’est au niveau des villes et des États
– en coordination – que s’organisent, en liaison avec un mouvement
de citoyens très actif, des actions concrètes en vue de réduire les
émissions de gaz à effet de serre et à basculer vers les énergies
renouvelables. La Californie – 6e économie du monde –, les États
de New York, de Washington et du Massachusetts ont annoncé leur
intention de respecter, quelle que soit la politique nationale, les
engagements de l’Accord de Paris, voire d’aller au-delà. La Californie
a déjà instauré au niveau de son État une régulation par les quantités
(« cap » et un marché « trade ») pour en garantir le fonctionnement.
Le milliardaire et maire de New York, Michael Bloomberg, a pris la
tête de cette contestation pro-climat en y associant des centaines
d’entreprises parmi lesquelles des poids lourds de la high-tech, de
nombreuses universités et organisations citoyennes. L’affrontement
ne fait que commencer et parcourra tout le mandat présidentiel
En présentant la question climatique comme une invention
chinoise destinée à nuire aux intérêts des États-Unis, Donald Trump a
offert aux Chinois une occasion inespérée de profiter de la situation
d’isolement dans laquelle il s’est plongé. Sa politique de repli est en
total contraste avec les ambitions chinoises. Xi Jinping, qui avait déjà
pu s’afficher comme le défenseur du libre-commerce à la réunion
de Davos, lance désormais la nouvelle « route de la soie » censée
concerner tout à la fois l’Europe et l’Afrique en promouvant le
concept de « gagnant-gagnant ».
Le retrait américain du partenariat transpacifique (TPP),
conçu par Obama pour isoler la Chine, permet
à celle-ci de proposer aux pays de la région un projet concurrent
beaucoup moins contraignant en matière de normes sociales ou
environnementales. Le projet chinois (One Belt One Road, OBOR)
profite du cadeau américain et annonce le grand retour de Pékin
en Asie articulé autour de la sécurité de ses approvisionnements,
d’une possibilité d’exportations de ses excédents et de l’appui d’une
banque de développement d’une grande capacité financière, l’Asian
Infrastructure Investment Bank – AIIB dans le but de concurrencer la
Banque asiatique de développement et la Banque mondiale qui
étaient déjà défiées par la « banque des BRICs » basée à Shanghai
et à laquelle participent les Russes. Ainsi Trump, plongé dans ses
démêlés avec la justice à propos de ses rapports avec la Russie, semble
beaucoup plus avoir favorisé les intérêts de Pékin que de Moscou.
Nul doute que la décision-climat de Trump va empoisonner
son mandat compte-tenu des oppositions organisées qu’elle suscite
à travers le pays et qu’elle va contribuer largement au remodelage
de l’économie mondiale en effaçant le fameux « pivot » asiatique de
Barack Obama dans les décennies à venir.