
Annoncé dès le début du quinquennat, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France présenté le 23 juillet 2014 au Conseil des ministres a été inscrit tardivement à l’agenda parlementaire et devrait être discuté à l’Assemblée nationale en mai 2015. Contrairement à la réforme de l’asile, adoptée en décembre 2014 par l’Assemblée nationale, ce projet n’est pas dicté par l’obligation de transposer des directives européennes.
S’il n’y avait aucune urgence à légiférer, une fois de plus, en matière de droit des étrangers, on aurait pu s’attendre à ce que ce projet de loi traduise au moins la volonté du gouvernement de prendre en compte les orientations suggérées par le rapport Fekl [1] de 2013 pour « sécuriser les parcours » des personnes étrangères en France. Ce n’est pas le cas. Des trois priorités mises en avant dans ce rapport – renforcer le droit à séjourner des personnes migrantes ayant vocation à vivre en France, améliorer les conditions d’accueil en préfecture, rétablir des modalités équitables de contrôle par le juge de la procédure de rétention administrative – le projet de réforme n’en retient aucune.
Si le rapport Fekl, en recommandant la mise en place d’un titre de séjour pluriannuel, restait bien en deçà des préconisations de nos organisations visant à rétablir la généralisation de la délivrance de la carte de résident de dix ans [2] (seul dispositif susceptible de garantir aux personnes durablement établies en France le droit à y demeurer sans crainte de l’avenir), il indiquait cependant des pistes pour faire reculer la précarisation qui caractérise le statut des étrangères et des étrangers. Elles n’ont pas été suivies.
Les organisations signataires de cette analyse sont unanimes : ce projet de réforme du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ne marque aucune volonté de rupture avec les réformes précédentes. (...)
En conservant l’inversion de la logique d’intégration amorcée depuis 2003 et en créant une nouvelle « usine à gaz » pour la délivrance de titres de séjour pluriannuels à géométrie variable, le projet de loi n’améliore ni la situation des personnes concernées, ni les conditions de leur accueil dans les préfectures. Pire, alors qu’il prétend « stabiliser » la situation des étrangères et des étrangers, il ne prévoit aucune passerelle entre le titre de séjour pluriannuel et le droit au séjour pérenne, permettant, au contraire, à tout moment, la remise en cause et le retrait de ce titre.
De nombreuses dispositions du projet de loi sont consacrées à l’éloignement. Si certaines constituent des réponses au droit de l’Union européenne et à la jurisprudence, la plupart sont au service de l’efficacité des mesures de départ forcé. (...)
On notera enfin, parmi les innovations, que le projet de loi veut mettre en place un dispositif de contrôle jamais imaginé jusqu’alors en dehors du champ du droit des étrangers, qui permettra aux préfectures de requérir auprès des administrations fiscales, des établissements scolaires, des organismes de sécurité sociale ou encore des fournisseurs d’énergie, de télécommunication et d’accès internet, des informations dans le cadre de l’instruction des demandes de titre de séjour, et de consulter les données détenues par ces organismes. Ce dispositif interroge le respect de la vie privée et de la déontologie professionnelle des travailleurs sociaux.
En revanche, le projet de loi est muet sur une série de questions pourtant cruciales : pas une ligne sur les travailleurs sans papiers, ni sur le retour à une régularisation de plein droit pour les personnes ayant passé de nombreuses années (10 ans) en France, ni sur les parents d’enfants malades, les personnes victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ni sur les personnes malades, enfermées ou assignées à résidence… Rien non plus sur les taxes exorbitantes dont doivent s’acquitter les personnes étrangères au moment de la délivrance et du renouvellement de leur titre…
Dans le dernier chapitre de cette analyse, intitulé : « ce dont le projet de loi ne traite pas », nous avons néanmoins choisi de relever les silences les plus graves en termes d’atteintes aux droits. Le projet de loi ne modifie rien au dispositif d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente, qui permet l’enfermement des mineurs et ne prévoit pas de recours suspensif contre les mesures de refoulement, laisse en l’état le mécanisme d’intervention du juge des libertés et de la détention pour les personnes placées en centre de rétention administrative (...)
L’idée d’accompagner les nouveaux arrivants pour faciliter leur insertion en France n’est pas forcément mauvaise ; elle le devient quand elle prend la forme « d’une contractualisation » des rapports entre ces personnes et l’État. Ces dernières doivent respecter les obligations du contrat (assiduité aux formations mises en place…), sous peine d’être maintenues dans une situation précaire au regard de leur droit au séjour. Dit autrement, elles sont tenues de montrer des gages d’intégration – prenant par ailleurs des formes et des modalités d’évaluation contestables – pour espérer transformer leur séjour précaire en droit au séjour stable par la délivrance d’une carte de résident. Ce dispositif, issu des lois du 26 novembre 2003 et du 24 juillet 2006 [3], provoque une « inversion de la logique d’intégration » : pour le législateur de 1984 [4], c’est d’abord la garantie de stabilité du séjour qui était de nature à faciliter l’insertion.
Pourtant critiquée par la gauche parlementaire lors des votes des projets de loi Sarkozy de 2003 et 2006, la mise en place du CAI – puis des dispositifs préparatoires au CAI dans le pays de départ avec la loi Hortefeux [5] – n’est aucunement remise en cause dans le projet de loi. (...)
Le projet de loi propose d’insérer dans le Ceseda une nouvelle disposition, qui prévoit la possibilité d’assortir l’obligation de quitter le territoire français frappant un-e ressortissant-e de l’Union européenne « d’une interdiction de circulation sur le territoire français d’une durée maximale de trois ans ». Elle serait prononcée soit quand la personne a abusé de son droit de circuler, soit quand elle constitue une menace « réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française ».
Cette mesure n’aurait pas été pensée « pour les Roms », selon le ministère de l’Intérieur. Si la France devait adopter une telle mesure d’interdiction de circuler, elle serait à « l’avant-garde » de l’Union européenne, aucun autre État membre ne l’ayant pour l’heure prévue. Il s’agirait ainsi de l’atteinte maximale portée à l’exercice d’un droit qualifié tant par la Cour de justice de l’Union européenne que par le Parlement européen de « liberté fondamentale », ne pouvant être limitée que de manière restrictive. (...)
Les différentes mesures de contraintes pourront s’enchaîner durant des mois, voire des années, en entretenant la plus grande des précarités, sans aucun droit au travail et avec le stress incessant du risque d’être expulsé. Une personne pourra ainsi être assignée d’abord 90 jours, puis placée en rétention 45 jours, puis assignée durant un an voire davantage, pour retourner ensuite en rétention. Aucune limite n’est fixée à l’enchaînement de ces mesures.
Les dispositions spécifiques à l’outre-mer : un infra-droit malgré les normes européennes et la jurisprudence (...)
Des échanges d’informations généralisés entre administrations et des possibilités de requêtes même auprès d’entreprises privées
L’article 25 du projet de loi prévoit pour les personnes étrangères l’échange généralisé d’informations détenues par des administrations ou entreprises publiques et privées sur la base d’une liste limitative (mais longue…).
Les préfectures pourront, dans le cadre de l’instruction des demandes de titre de séjour, requérir des informations auprès des administrations fiscales, des établissements scolaires, des organismes de sécurité sociale ou encore des fournisseurs d’énergie, de télécommunication et d’accès internet. Elles pourront aussi consulter les données détenues par ces mêmes organismes.
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