Une délégation de responsables de différentes mouvements s’est rendue après le Forum social mondiale de Dakar en Tunisie. Bernard était du voyage et a confié à Basta ! le récit de ce qu’il a vu et entendu, un mois après la chute du président Ben Ali. Il a accompagné Mouhieddine Cherbib au tribunal, rencontré des avocats, des militant-es et leurs familles, des syndicalistes...
Un ami de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) est venu me chercher à l’aéroport de Tunis-Carthage. Nous allons directement au local de la Ligue rejoindre le groupe qui doit partir pour Gafsa.
La villa qui abrite le siège de la Ligue est un lieu emblématique de la résistance à la dictature. La LTDH, fondée en 1976, n’a jamais cédé devant les pressions des pouvoirs de Bourguiba puis de Ben Ali, les intimidations et censures, les emprisonnements ou l’exil de certains de ses responsables comme Khemaïs Chemmari, Khemaïs Ksila, Moncef Marzouki. La Ligue n’a cessé de dénoncer les atteintes au droit, la corruption, la répression et la torture de militants politiques ou syndicaux, islamistes, communistes, sociaux-démocrates ou libéraux. Entrer dans la villa de la Ligue, constamment surveillée par la police, c’était l’assurance d’être suivi, fiché, parfois interpellé… J’en ai fait l’expérience.
Mais aujourd’hui, aucun flic à l’horizon. Aucun flic ? Pas tout à fait. Il y a, en civil, à l’intérieur du bâtiment quelques policiers. Ils sont venus solliciter des conseils pour créer un syndicat indépendant dans la police !(...)
Au début de 2008, les habitants de la région des mines de phosphate de Gafsa (au sud-ouest du pays), en particulier de la ville de Redeyef, s’étaient soulevés pendant plusieurs semaines contre l’arbitraire et l’injustice. Il y avait eu des morts, des arrestations. Des syndicalistes avaient été emprisonnés. Mouhieddine, à l’époque président de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), avait été condamné par contumace, en décembre 2008, à 2 ans de prison, pour avoir organisé en France la solidarité avec les mineurs de Redeyef. Il avait fait opposition au jugement et son cas devait être réexaminé par le tribunal de Gafsa le 16 février 2011… Entre-temps certains événements ont quelque peu changé la donne en Tunisie…(...)
Dans une large mesure, le mouvement du bassin minier de 2008 a été le premier épisode de la contestation du régime qui devait aboutir début 2011 à la chute de Ben Ali.(...)
L’exploitation du phosphate constitue l’une des principales ressources naturelles exportées de la Tunisie, mais la population locale n’a jamais bénéficié des retombées économiques de cette manne et les infrastructures publiques sont minimales. La région est gravement polluée après un siècle d’exploitation forcenée d’un des plus grands gisements du monde, et pour les habitants aux dents souvent noircies par l’eau insalubre, l’espérance de vie est inférieure à la moyenne. Les réductions d’effectifs de la Compagnie des Phosphates de Gafsa ont provoqué chômage et précarité, tandis que se développaient corruption et favoritisme.
Le mouvement populaire du début de 2008, d’abord contre les injustices en matière d’embauche, puis contre la situation générale, s’était donné pour devise « détermination, dignité ». (...)
« Quand le soleil est masqué par le brouillard et que le voile de l’obscurité a enveloppé le monde (…) à tout qui cherche et qui comprend il ne reste comme chemin que les yeux des mots », chantait Cheikh Imam. Et nous, ce soir-là.