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le monde diplomatique
Sur la route avec Gloria Steinem
par Mona Chollet
Article mis en ligne le 21 mai 2019
dernière modification le 20 mai 2019

Un jour de 1964, Gloria Steinem se trouvait à l’arrière d’un taxi entre les écrivains Gay Talese et Saul Bellow. Le premier se pencha pour lancer au second : « Tu sais que, chaque année, il y a une jolie fille qui débarque à New York et prétend être écrivain ? Eh bien, cette année, c’est Gloria. »

La condescendance sexiste est toujours dans l’erreur ; mais elle se sera rarement fourvoyée à ce point. Cinquante-cinq ans plus tard, la « jolie fille » est devenue une légende.

Un film sur sa vie est en cours de tournage avec Julianne Moore ; M. Barack Obama lui a remis en 2013 la médaille de la liberté. Star aux États-Unis, où elle est une figure centrale du féminisme depuis la fin des années 1960 — son discours lors de la marche des femmes à Washington le 21 janvier 2017, jour de l’investiture de M. Donald Trump, a fait sensation —, elle reste cependant étonnamment peu connue en France. Seul Une révolution intérieure (1992), ouvrage passionnant sur l’importance de l’estime de soi dans les luttes de libération, avait été traduit en français en 1997. En 2018, les éditions du Portrait ont entrepris de combler cette lacune avec le recueil d’articles Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes (1). Et, cette année, HarperCollins France leur emboîte le pas avec Ma vie sur la route, captivante autobiographie parue en 2015 (2).
(...)

C’est son identification obscure à tous les opprimés, dit-elle, qui a préparé sa prise de conscience féministe. En 1966, jeune journaliste, elle couvre la lutte des ouvriers agricoles à l’appel du dirigeant syndical César Chávez. Dès ses premières années de militantisme féministe, elle sillonne les États-Unis pour des rencontres publiques en binôme avec la militante des droits civiques Florynce Kennedy, et surtout avec l’avocate noire Dorothy Pitman-Hughes — une célèbre photographie de 1971 montre les deux femmes posant côte à côte, le poing levé en hommage au Black Power. Ma vie sur la route raconte aussi sa découverte de la culture et des combats des Amérindiens, en particulier grâce à sa grande amitié avec Wilma Mankiller, première femme à avoir été cheffe de la nation cherokee.

Steinem, qui vient de fêter ses 85 ans, est aux premières loges de l’histoire américaine depuis six bonnes décennies. (...)

Mais l’histoire personnelle n’est pas moins prenante que la grande. Dans « La chanson de Ruth (qu’elle n’a pas pu chanter) », Steinem rend hommage à sa mère, devenue dépressive après avoir renoncé, en se mariant, à une carrière prometteuse dans le journalisme. Et Ma vie sur la route s’ouvre sur un chant d’amour pour son père, brocanteur itinérant à qui elle doit son enfance non conformiste (elle n’a été scolarisée qu’à l’âge de 12 ans) et son esprit d’indépendance si peu « féminin »