Le projet pharaonique de construction d’une route sur pilotis, met en péril l’environnement et les finances publiques de l’île de l’Océan indien. Elle intéresse dorénavant la justice, qui conduit une enquête pour « corruption » et « favoritisme »
Le désastre écologique et l’effroyable gâchis d’argent public qu’est la construction de la Nouvelle route du littoral (NRL) sont-ils en train de se transformer en un scandale politico-financier comme La Réunion n’en a jamais connu ? Rien, pour l’instant, ne permet de l’affirmer, mais l’enquête pour « corruption » et « favoritisme » prend de l’ampleur et la « NRL » devient un élément central de la campagne pour les élections régionales, ce que voulait éviter Didier Robert, l’actuel président Les Républicains (LR) du conseil régional.
L’homme fort de la droite réunionnaise est désormais mis en cause personnellement. Jeudi 8 octobre, les forces de l’ordre sont en effet intervenues à son domicile, ainsi qu’au conseil régional et aux domiciles d’autres élus régionaux. Les enquêteurs « vont éplucher les patrimoines, biens immobiliers et comptes bancaires de Didier Robert et des acteurs du dossier de la NRL pour chercher à déterminer s’ils présentent des éléments suspects. Les locaux du groupement GTOI/SBTC (Bouygues et Vinci), principal attributaire du marché de la NRL, ont également été perquisitionnés. (...)
« Le dossier a été transféré en avril dernier au parquet national financier après de premières perquisitions et des interrogatoires dans l’île, signe que l’affaire est prise très au sérieux. Didier Robert et Dominique Fournel, l’adjoint en charge de la nouvelle route du littoral, ont notamment déjà été entendus », rappelle aussi une journaliste de l’agence de presse réunionnaise Imaz Press.
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Les soupçons de la justice porteraient sur l’attribution d’un marché de fourniture de matériaux, mais les opposants à la route se posent des questions sur le principal appel d’offre, celui du viaduc et des digues, attribué à Bouygues et à Vinci. Destinée à remplacer l’actuelle route côtière qui va de la préfecture de Saint-Denis au Port, la NRL serait en effet en grande partie construite sur pilotis. Un choix qui explique son coût très élevé (1,6 milliard d’euros selon le devis initial ; 2,5 à 3 milliards après les inévitables dépassements que prédisent les experts) et l’importance des dégâts sur l’environnement.
La contestation des opposants du collectif avait culminé en juin lors du passage de Manuel Valls à la Réunion puis lors d’importantes manifestations contre l’ouverture de carrières.. L’arrivée des enquêteurs ravive leur espoir de voir le projet de route annulé.
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L’histoire du financement de la route est révélateur des collusions possibles entre les groupes de BTP et les hommes politiques au pouvoir dans l’île. Ainsi, avant la victoire surprise de Didier Robert aux élections régionales de 2010, ce n’est pas une route mais un tram-train qui avait été décidé, ce qu’avaient acté les accords dits de Matignon I, signés en 2007 entre le gouvernement de Dominique de Villepin et Paul Vergès, alors président (Parti communiste réunionnais) de la région. La décision n’a pas résisté à l’alternance. La droite, emmenée par Didier Robert, a fait campagne sur son opposition au tram. Arrivée au pouvoir, elle a dénoncé le contrat de tram-train et signé de nouveaux accords, dits de Matignon II, avec le gouvernement Fillon.
Bouygues, qui avait remporté au sein du consortium Tram’Tiss (dans lequel on retrouve aussi Veolia, Colas, Bombardier...), le contrat de 1,32 milliard du tram-train a saisi le tribunal administratif en réclamant 170 millions d’euros de dédommagement. Une somme que le groupe de BTP réclame toujours aujourd’hui - alors qu’il a remporté le contrat de la NRL associé à Vinci !
« Tout cela est scandaleux, d’autant plus que Bouygues s’est peut-être servi de cette épée de Damoclès pour faire pencher en sa faveur l’attribution du contrat de la NRL. On peut s’interroger aussi sur le comportement de Didier Robert, qui n’a pas respecté les engagements de ses prédécesseurs, fondant ainsi les arguments des avocats des membres de Tram’Tiss », se rappelle un proche de Paul Vergès.
La question se pose aujourd’hui des dédommagements que pourraient réclamer de nouveau Bouygues et Vinci si la gauche remporte les élections et annule le projet (...)
Un échangeur routier est déjà en construction à La Possession, l’entrée ouest de la future route du littoral. Un autre l’est également à La Grande Chaloupe, au milieu du trajet. « On construit également, au Port, l’usine d’où sortiront les éléments préfabriqués pour le viaduc. Didier Robert fait du forcing pour faire croire aux Réunionnais qu’il est trop tard pour faire marche arrière. (...)