Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
CADTM
Soutien à l’homme qui a tenté de s’immoler à Liège et aux autres victimes des politiques migratoires et du néo-colonialisme
Article mis en ligne le 7 août 2019

Ce mercredi 31 juillet, vers midi, un homme a tenté de se donner la mort en s’immolant par le feu dans la cour du Palais de justice de Liège. « On ne sait pas pourquoi, aujourd’hui, il est entré en crise et s’est déclaré victime. » a déclaré le parquet [1]. L’homme, qui vient de Guinée, venait pourtant de recevoir un ordre de quitter le territoire. Ce drame évitable a lieu tout juste 20 années après la mort de Yaguine Kaïta et Fodé Tounkara, deux adolescents guinéens retrouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion à l’aéroport de Zaventem après avoir tenté d’échapper à la misère [2].

C’est en 2010 que le Président Alpha Condé est arrivé au pouvoir, en Guinée, à la suite d’un scrutin aux résultats très contestés. Le candidat de l’opposition- qui était arrivé largement en tête du premier tour- avait dénoncé l’organisation d’une fraude massive. Depuis lors, la corruption, la pauvreté et les violences n’ont cessé d’augmenter dans le pays. Ces violences découlent d’une part des tensions interethniques, entretenues par les stratégies électoralistes des responsables politiques mais également de l’action directe du gouvernement qui a utilisé l’armée à plusieurs reprises pour écraser les manifestations, assassiner des opposant·e·s et arrêter arbitrairement des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et d’autres personnes s’exprimant contre le gouvernement [3]. En 2015, le Président Condé a accédé à un deuxième mandat à la suite d’un scrutin dont l’issue fut à nouveau extrêmement contestée. Aujourd’hui, il œuvre ouvertement à une réforme constitutionnelle devant lui permettre de briguer un troisième mandat à la tête de l’État.

Malgré cette situation, les pays occidentaux qui, dans d’autres cas récents, ont pourtant été très prompts à s’impliquer dans des processus électoraux qu’ils jugeaient irréguliers dans des pays étrangers, ont maintenu un ton très diplomatique avec le gouvernement guinéen. Outre l’expression de quelques « inquiétudes », ils n’ont jamais non plus condamné les exactions du pouvoir qui ont explosé depuis cinq ans. (...)

La raison principale de cette complaisance peut se résumer en un mot : bauxite. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel président guinéen en 2010, des régions entières de Guinée se transforment en mines à ciel ouvert pour l’extraction de ce minerai dont est issu l’aluminium. Ces mines, exploitées en grande partie par des entreprises françaises, sont financées notamment par la Banque mondiale et les grandes banques européennes, et doivent répondre à la demande croissante des industries de l’aéronautique, du transport et de la construction des pays du Nord. Les conséquences sociales et environnementales sont désastreuses alors même que la population locale n’en voit pas revenir l’ombre d’un franc, au contraire. (...)

Pour les pays du Sud en général, ce type d’économie d’exportation issu des plans d’ajustement structurel (PAS) dressés par les institutions financières internationales est toujours synonyme de dévastation. (...)

Les régimes politiques autoritaires et répressifs qui permettent cet état de fait sont, comme dans le cas guinéen, des « partenaires privilégiés » des gouvernements de pays industrialisés comme la Belgique. La pauvreté, la dégradation du cadre de vie et la répression politique qu’ils entretiennent sont, à l’évidence, d’importants facteurs de migration subie. Cette migration contrainte -qui, par ailleurs, a lieu en majorité vers d’autres pays du Sud- fait face aux politiques inhumaines que nous connaissons quand elle se dirige vers l’Europe.

Malgré cela, dans sa déclaration, le parquet de Liège a choisi de réduire cet acte extrême de protestation à une « crise » individuelle et à une auto-victimisation. (...)

Des politiques migratoires justes doivent voir le jour (réduction des inégalités, voies d’accès sûres et légales, égalité des droits, etc.) ainsi qu’un rééquilibrage de l’ensemble des relations Nord-Sud. La résistance globale aux dynamiques néo-coloniales à l’œuvre doit être renforcée et, avec celle-ci, une dénonciation du système capitaliste extractiviste en lui-même.

On ne peut accepter de normaliser les traitements inhumains faits aux personnes migrantes, ni être dupe face aux discours d’inversion des responsabilités. Il nous faut construire la solidarité dans tous les domaines et dénoncer le rejet, la peur et la haine systémiques cultivés contre les personnes d’origine étrangère.

Pour contrer les phénomènes de migrations non-volontaires, les pays du Sud doivent voir leur développement libéré des prises d’intérêt des puissances industrielles et financières du Nord. Pour ce faire, il est central de lutter pour l’annulation des dettes publiques et privées illégitimes qui servent à asseoir ces intérêts, notamment en imposant l’extractivisme de masse destiné à l’exportation. (...)