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Sous l’influence des industriels et de leurs lobbies, l’Europe s’enferme dans un carcan de gazoducs et de terminaux méthaniers
Article mis en ligne le 1er novembre 2017

Alors que le vieux continent s’apprête à accueillir une nouvelle fois la Conférence internationale sur le climat à Bonn, un rapport met en lumière la manière dont institutions européennes, États membres et industriels se sont entendus pour lancer un vaste programme de construction de nouvelles infrastructures gazières de la Baltique à l’Adriatique. Au risque de renier les engagements de l’Europe non seulement en matière de climat, mais aussi de démocratie et de droits de l’homme. En France, cette politique se traduit par de nouveaux projets de gazoducs comme MidCat et Éridan. Et les grandes entreprises tricolores comptent bien profiter elles aussi de l’aubaine.

Dans quelques jours s’ouvrira la 23e Conférence des parties de la Convention des Nations unies sur le climat, ou COP23. Le pays hôte de l’événement est officiellement cette année l’archipel des Fidji, une nation en première ligne face aux conséquences du réchauffement des températures. Pour des raisons logistiques, cependant, la conférence aura lieu à Bonn, en Allemagne. Après Paris en 2015 et avant Katowice, en Pologne, l’année prochaine, l’Europe accueillera donc trois conférences internationales sur le climat en quatre ans. De quoi conforter son statut de garante de l’Accord de Paris, alors que les États-Unis de Donald Trump s’enfoncent dans le déni et que la Chine se concentre surtout sur ses propres défis.

Entre énergies renouvelables, réseaux « intelligents » et voitures électriques, le vieux continent aime à se donner l’image d’être en train de passer à autre chose, et de laisser peu à peu derrière lui l’âge des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) et des tonnes de carbone que celles-ci rejettent dans l’atmosphère. Pourtant, dans le même temps, institutions européennes, États membres et industriels font exactement le contraire, en poussant à la construction d’une vague de nouvelles infrastructures énergétiques, notamment gazières, aux quatre coins du continent. Comme pour s’assurer que celui-ci continuera à consommer des énergies fossiles pour plusieurs décennies. Illustration de la schizophrénie – certains diraient l’hypocrisie – qui reste celle de l’Europe face à l’enjeu climatique. (...)

Plusieurs raisons se conjuguent pour expliquer cette floraison d’infrastructures, soutenues et financées par l’UE à travers le statut officiel de « projet d’intérêt commun ». D’abord, le souhait de réduire la dépendance des nations européennes envers le gaz russe. Mais aussi celui d’assurer aux industries du vieux continent l’accès à un gaz bon marché, afin de préserver leur « compétitivité ». L’idéologie prédominante au sein des institutions européennes joue également son rôle, à travers la vision d’un marché totalement intégré à l’échelle continentale, où le gaz pourrait circuler librement en fonction de l’offre et de la demande, et du prix le plus bas à un instant donné. Enfin, et peut-être surtout, le développement actuel du gaz reflète les priorités stratégiques des majors pétrolières, qui voient dans cette source d’énergie le meilleur moyen de préserver leur position économique et leurs profits.

En France même, terminaux méthaniers et projets de gazoducs
Le territoire français est directement concerné par cette frénésie d’infrastructures. EDF a inauguré cette année son nouveau terminal méthanier à Dunkerque, qui recevra entre autres du gaz de schiste américain, destiné à être injecté dans les réseaux français et belges. Les terminaux d’Engie à Montoir-en-Bretagne et Fos-sur-Mer s’approvisionneront eux aussi à la même source. Des travaux sont en cours en Champagne, en Bourgogne et dans le Midi pour augmenter la capacité des gazoducs et faciliter les échanges nord-sud. Et des projets de plus grande ampleur encore se profilent à l’horizon. (...)

. Sous prétexte de réduire la dépendance européenne envers la Russie, la Commission se tourne vers des fournisseurs comme l’Azerbaïdjan, en fermant les yeux sur la répression et les violations des droits humains dont se rend coupable son gouvernement. Les liens étroits tissés entre intérêts azéris et européens ont donné lieu à toute une série de scandales, le dernier en date étant la révélation du vaste système de corruption et de blanchiment connu sous le nom de « lessiveuse azérie » [1]. En Europe même, la construction de nouveaux gazoducs se heurte à la résistance des populations affectées, comme en Grèce ou dans le sud de l’Italie, au débouché du TAP (Trans Adriatic Pipeline), dernier tronçon du gazoduc arrivant d’Azerbaïdjan (lire notre article). D’un point de vue purement économique, la viabilité même des nouveaux projets est sujette à caution, dans la mesure où les infrastructures existantes fonctionnent largement en deçà de leurs capacités et que la demande de gaz tend à décliner. Et bien sûr, construire aujourd’hui ces nouvelles infrastructures destinées à faciliter l’approvisionnement en gaz de l’Europe contribuera à enfermer le continent dans plusieurs décennies supplémentaires de consommation de cette énergie fossile, alors même que l’Union s’est donnée pour objectif officiel de réduire ses émissions de gaz à effet de serre à presque rien d’ici 2050.

L’Europe sous influence des lobbies gaziers (...)

Dans un nouveau rapport intitulé L’Europe enlisée dans le gaz, publié en partenariat avec l’Observatoire des multinationales et les associations Attac et Amis de la Terre, l’organisation bruxelloise Corporate Europe Observatory s’est essayée à l’exercice de cartographier les lobbys gaziers à l’œuvre à Bruxelles et dans les capitales européennes, et les multiples canaux d’influence par lesquels ils parviennent à inspirer les décisions de l’Union. Le tableau n’est guère encourageant.

Rien qu’en 2016, selon les chiffres disponibles, les lobbys du gaz ont dépensé plus de 100 millions d’euros en lobbying à Bruxelles. Ils avaient à leur disposition un millier de lobbyistes pour hanter les couloirs du Parlement et de la Commission, sans même compter les cabinets d’avocats ou les consultants en relations publiques embauchés pour les aider à plaider leur cause au plus haut niveau. (...)

en plus du lobbying proprement dit, la Commission européenne accorde une large place aux industriels dans la définition même de ses politiques et leur mise en oeuvre, à travers ses groupes consultatifs ou une structure comme l’ENTSO-G. Ce « réseau » d’opérateurs de gazoducs européens (dont les français GRTgaz, filiale d’Engie, et TIGF, naguère filiale de Total et désormais détenu par EDF et l’italien Snam) est chargé d’évaluer les besoins futurs d’approvisionnement en gaz, bien que ses membres soient directement intéressés à la construction de nouvelles infrastructures. Faut-il en être surpris ? Les projections de l’ENTSO-G se sont révélées systématiquement supérieures à la réalité : alors que le réseau avait prévu une hausse de 8% entre 2010 et 2013, la demande européenne de gaz a en fait baissé de 14%. (...)

Dans tous les pays d’Europe où ils ont cherché à exploiter gaz et du pétrole de schiste, si ce n’est (pour l’instant) au Royaume-Uni, les industriels ont dû jeter l’éponge devant les résistances. À en rester là, cependant, le risque est fort que le gaz qui ne sera pas extrait dans le sous-sol européen soit cherché ailleurs : en Azerbaïdjan, aux États-Unis, au Nigeria ou encore en Algérie, où le gouvernement vient d’annoncer la relance du gaz de schiste. Ce qui explique aussi la volonté de construire de nouveaux terminaux méthaniers et de nouveaux gazoducs pour l’accueillir.

Pionnière en Europe avec l’interdiction de la fracturation hydraulique et, sans doute bientôt, la fin de l’exploitation des hydrocarbures sur son sol, la France n’en reste pas moins un gros importateur de gaz. (...)

Pour faire encore mieux passer le message, les grandes entreprises comme Total, Shell ou Enel ont même pris le contrôle des structures de lobbying censées défendre les énergies renouvelables à Bruxelles, en monopolisant les postes au sein de leurs conseils d’administration (lire notre article). Résultat : les « éléments de langage » concoctés alors sont aujourd’hui largement repris par les dirigeants européens. (...)

On les retrouve également dans la campagne de communication que vient de lancer en France GRTgaz, sous le titre « Le gaz, l’énergie des possibles » (voir ci-dessus), qui mêle délibérément différentes formes et différents usages du gaz sous une même image « verte ». Pourtant, au-delà même du débat sur les bénéfices réels du gaz en termes d’impact climatique par rapport au pétrole et au charbon (peu évidents si l’on tient compte de toute la chaîne de production, en raison surtout des fuites accidentelles de méthane), la voie d’une véritable transition énergétique, basée sur une transformation profonde non seulement de nos sources d’énergie mais aussi de nos systèmes énergétiques et des modèles économiques et politiques qui les sous-tendent, semble plus que jamais grande ouverte. (...)