Le scandale Orpea a suscité, dans les jours qui ont suivi, une vague de critiques à l’égard des maisons de retraite en France. Or, la dénonciation de la maltraitance et l’insuffisance criante de moyens dans les établissements dédiés à la prise en charge des personnes âgées ne sont pas nouvelles.
En arrière plan, des responsables politiques aux dirigeants de structures, tous semblent dépassés par le défi grandissant de prise en charge de la dépendance. Gourmande en moyens humains et financiers de plus en plus importants, le phénomène de vieillissement de la population en France produit des effets sociaux, économiques et anthropologiques sans précédent. Loin de ne peser que sur l’État, la responsabilité vis-à-vis de nos ainés repose en grande partie sur les familles, qui héritent d’un important reste à charge. Face à ce qui se vit, de plus en plus couramment, comme un “fardeau”, l’une des promesses du quinquennat Macron était la réorganisation du système de sécurité sociale, avec la création d’une cinquième branche dédiée à l’autonomie. Porté par Brigitte Bourguignon, ministre déléguée au ministère des Solidarités et de la Santé, ce projet aux allures plus “sociales” a néanmoins été qualifié de “coquille vide” par plusieurs élus et professionnels du secteur. Résultat, alors que la crise sanitaire a mis en exergue la vulnérabilité des personnes âgées, le gouvernement a décidé de repousser encore davantage ce projet qui, faute d’ambition politique forte, ne verra probablement jamais le jour.
Malaise dans les Ehpad
La publication récente du livre Les Fossoyeurs par le journaliste Victor Castanet, dédié à la maltraitance dans les Ehpad, a remis au cœur des débats un certain nombre de dysfonctionnement. (...)
Depuis les hospices tenus par les religieuses, jusqu’aux groupes cotés en bourse, ce secteur illustre l’échec d’une vision libérale, appliquée au domaine de la santé. (...)
D’une part, on trouve les sociétés, parfois cotées, qui profitent de l’or gris – c’est à dire des opportunités lucratives de l’économie du grand âge ou silver economy. Spécialisés dans l’immobilier, plutôt que dans la prise en charge, elles cherchent à optimiser leurs investissements. En effet, l’activité d’hébergement reste la plus lucrative, tandis que la partie soin est peu rentable. De l’autre, se trouvent des opérateurs associatifs à vocation sociale. Ils souffrent d’une taille limitée, et leur fonctionnement repose parfois sur des bénévoles. Cependant, ces deux acteurs, pour des raisons différentes, se retrouvent face à des contraintes financières fortes. Les uns en quête de rentabilité, les autres dans un souci de durabilité du modèle social et associatif. (...)
Cet état de fait se traduit par une prise en charge très inégale. Le manque de moyens et l’encadrement chaotique des équipes, expliquent en grande partie les plaintes régulières de maltraitance. Dans les cas les plus extrêmes, le manque de personnel ne permet pas d’assurer la correcte délivrance des repas ou des soins de base. (...)
Ainsi, bien que très lucratif, le secteur peine à répondre à l’ensemble de la demande. Sous l’effet du vieillissement de la population, le nombre et le délai des prises en charge ne cessent d’augmenter. Le rapport commandé par le ministère des Solidarités et de la Santé en 2018, lorsque ce sujet avait déjà fait polémique, estimait à 60 000 le nombre de places manquantes. En outre, l’accès à un Ehpad de proximité est variable selon les territoires. (...)
la densité varie du simple au double entre les départements. En conséquence, certaines familles doivent recourir à un établissement relativement éloigné de leur domicile. Ceci arrache les personnes âgées à leur environnement familier et réduit d’autant les possibilités de visite. (...)
Enfin, avec le temps, les modalités de prise en charge tendent à se dégrader. Tout d’abord, l’âge d’entrée en établissement augmente et, avec lui, le niveau de dépendance des personnes. Conséquence du manque de places et du coût prohibitif de certains établissements, les familles tentent de retarder au maximum l’entrée en Ehpad. Ceci se traduit in fine par des besoins matériels et humains bien plus importants qu’auparavant. Or le secteur était probablement mal préparé pour assurer la prise en charge de pathologies de plus en plus lourdes. En outre, les établissements ne permettent pas toujours de séparer les patients atteints d’Alzheimer ou de démence des autres. (...)
En outre, malgré la construction de nouveaux établissements, la plupart des structures d’hébergement sont très vieilles. (...)
Or l’augmentation des contraintes financières et l’approfondissement des normes d’hygiène, de sécurité etc., rendent l’entretien de ces lieux bien plus complexe. De plus, les faibles effectifs de personnel dans une grande partie des établissements rendent difficiles une intervention rapide en cas d’accident. Cette équation insolvable est d’autant plus problématique qu’elle met en danger un public déjà très vulnérable. Une panne prolongée de la climatisation en période de canicule, par exemple, peut être dramatique pour les personnes âgées.
Un système de financement défaillant
Si le secteur se trouve sous pression financièrement, c’est en grande partie une question de choix politique. En effet, le développement du secteur repose sur une logique d’appel d’offre public. Les opérateurs sont donc libres de leurs choix d’investissement. (...)
La réalité est que ce système, dont nous avons souligné les insuffisances, présente un coût social important. (...)
. La DREES a calculé que ce montant devrait doubler d’ici 2060, au regard de la hausse de la population concernée. La loi sur la dépendance de 2020 n’a permis d’ajouter que 400 millions d’euros au budget, bien en deçà des besoins. Ceci va nécessairement poser un problème de financement en l’absence d’une refonte d’ampleur. Aujourd’hui, la question de la répartition de ce coût additionnel reste en suspens.
Le système de financement d’une partie des aides qui repose, en grande partie, sur l’échelle départementale, est également très inégal. En effet, une partie des allocations versées, comme l’aide sociale à l’hébergement, qui recouvre les frais d’hébergement en Ehpad, ou encore de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, sont récupérables sur les successions. Cette solidarité intergénérationnelle contrainte, en plus de prolonger les inégalités existantes, incite bien souvent les aînés à se sacrifier pour leurs enfants et petits-enfants. (...)
L’absence de mise en place d’un véritable financement de la dépendance à la hauteur des enjeux reste un échec majeur du quinquennat. (...)
Cette mise en tension du milieu médico-social, permise et entretenue par l’État, s’apparenterait à une injection des logiques et des intérêts privés dans le système public de santé. (...)
La création de la 5e branche en l’état actuel n’a fait que déplacer des dépenses déjà existantes, sans moyens complémentaires. (...)
Si Macron ambitionnait d’en faire un chantier majeur de son quinquennat, ce ne sera pas le premier à avoir échoué. L’expérience malheureuse des ARS (Agences régionales de santé) a montré les limites d’une vision bureaucratique et comptable, coupée des réalités de soins. Cela a été flagrant lorsque l’État a souhaité verser une prime Covid aux aides à domicile, après le premier confinement, ou revaloriser leurs salaires. Pour pouvoir tenir sa promesse, les départements ont été contraints de participer au financement de ces hausses décidées en 2020. Or, faute de revalorisation, les organismes d’aides à domicile peinent déjà à recruter, en raison de conditions de travail difficiles.
« Le Défenseur des droits a instruit plus de 900 réclamations de personnes contestant les modalités de leur accompagnement médico-social ou celui de leurs proches. 80 % de ces dossiers mettent en cause un Ehpad. »@jdumonteil #EPHAD https://t.co/v1jrhjpLS5
— Brice Soccol (@SoccolB) March 2, 2022