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IRIN - nouvelles et analyses humanitaires
Sommet humanitaire mondial : gagnants et perdants
Article mis en ligne le 1er juin 2016

Les organisateurs étaient encore en train de faire le décompte lorsque le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a annoncé que plus de 1 500 engagements avaient été pris dans le cadre du Sommet humanitaire mondial, une série ahurissante de tables rondes à huis clos, de débats et d’annonces impromptues qui a eu lieu la semaine dernière.

Alors que la poussière retombe, nous vous proposons un résumé de ce qui a été convenu et de ce sur quoi les participants n’ont pas réussi à s’entendre. (N’hésitez pas à compléter notre synthèse en nous transmettant vos commentaires par Twitter : @irinnews)

Pour rappel, voici ce qui était à l’ordre du jour des discussions à l’approche du Sommet.

Ce qui a été convenu

Le financement de l’aide doit être plus efficace.

Le résultat le plus concret du Sommet est sans doute la signature de ladite « Grande Négociation » (« Grand Bargain ») par des représentants des 30 principaux bailleurs de fonds et organisations d’aide humanitaire. L’objectif est de rendre l’aide plus efficace, notamment en harmonisant les propositions des bailleurs de fonds – coûteuses en temps – et les exigences en matière de reporting, en réduisant les frais généraux, en introduisant des évaluations collectives des besoins et en affectant moins de fonds à des projets spécifiques (lire aussi : La Grande Négociation : décryptage). Les signataires se sont en outre montrés favorables à un recours accru aux transferts en espèces, mais les cibles spécifiques se limitent à des promesses individuelles plutôt qu’à un engagement collectif. Cela est encore plus vrai pour les ONG que pour les gouvernements (bien que le Royaume-Uni et l’Italie soient des exceptions notables). (...)

L’aide doit être gérée par les organisations locales.

Comme on pouvait s’y attendre, le thème de la « localisation » a été particulièrement populaire dans les discussions. Les signataires de la « Grande Négociation » se sont entendus pour verser un quart des financements humanitaires aux organisations locales et nationales, et ce, « aussi directement que possible ». Le Sommet a également été l’occasion du lancement fort attendu de NEAR, un réseau visant à « refaçonner le système d’aide humanitaire et de développement actuel, qui, pour l’heure, fonctionne selon le principe hiérarchique, afin qu’il soit géré et ancré localement et bâti autour de partenariats équitables, dignes et redevables ». Vingt-sept ONG internationales ont également signé la nouvelle Charter4Change, s’engageant ainsi à verser 20 pour cent de leur financement aux ONG nationales d’ici 2018 (et à publier ce pourcentage de façon transparente) ainsi qu’à agir pour contrer le drainage de la capacité des organisations locales provoqué par le recrutement d’employés locaux au sein d’ONG internationales.

L’éducation est une priorité humanitaire.

Une ancienne employée de l’organisation Save the Children a dit qu’elle s’était presque mise à pleurer au moment du lancement du fonds Education Cannot Wait. Après des années de lobbying, on admet enfin que l’éducation est tout aussi importante que l’aide alimentaire et la fourniture d’abris lors d’une crise. (...)

Les interventions humanitaires doivent assurer une meilleure inclusion des personnes handicapées.

Près d’une centaine de gouvernements, d’organisations d’aide humanitaire et d’autres acteurs ont signé une autre charte par laquelle ils se sont engagés à éviter toute forme de discrimination envers les personnes handicapées dans leurs interventions humanitaires et à tenir compte de leurs besoins au moment de concevoir leurs programmes d’aide. (...)

Le monde doit investir dans la prévention et l’atténuation des risques.

On sait depuis longtemps que chaque dollar investi dans la préparation aux crises permet d’en épargner 7 au moment d’y répondre. Il semble pourtant très difficile de procéder à ce changement. L’organe de réduction des risques de catastrophes des Nations Unies a appelé à la création d’un « indicateur » permettant d’assurer un suivi des dépenses en matière de RRC. Aucun objectif spécifique n’a cependant été fixé. (...)

De nouveaux mécanismes de financement doivent être testés.

Face à un déficit de financement humanitaire estimé de façon très approximative à 15 milliards de dollars, le Sommet a mis l’accent sur la nécessité de trouver de nouvelles approches de financement. Plusieurs initiatives ont été annoncées, notamment la création d’un Humanitarian Impact Bond (HIB) permettant à des acteurs privés d’investir dans un programme humanitaire et d’être remboursés (avec profit) par les bailleurs de fonds traditionnels si certains objectifs sont atteints ; (...)

Les organisations régionales ont un rôle important à jouer.

Les organisations régionales intergouvernementales se plaignent depuis longtemps qu’on ne leur accorde pas la place qu’elles méritent dans le processus décisionnel humanitaire. Elles sont pourtant capables d’intervenir plus rapidement [que les organisations internationales] dans les crises qui secouent leur région et de mieux respecter les particularités culturelles. Au cours des dernières années, des efforts (souvent peu fructueux) ont été déployés pour développer la capacité de groupes tels que l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et la Ligue arabe. Le Sommet d’Istanbul est cependant allé plus loin en donnant naissance au Regional Organisations Humanitarian Action Network (ROHAN), un réseau qui a pour objectif de formaliser le rôle des organisations régionales dans l’architecture humanitaire internationale. (...)

Le secteur humanitaire est un écosystème, pas un système.

On peut considérer que la structure du Sommet était à la fois une force et une faiblesse. Contrairement à la COP21 et à la plupart des grands sommets organisés par les Nations Unies, le SHM n’était pas un processus intergouvernemental visant à rédiger à l’avance un texte qui fait consensus. L’objectif du processus était plutôt de recueillir une multitude d’idées en consultant tous les acteurs impliqués dans le secteur de l’aide, y compris les organisations de la société civile et le secteur privé. Cela explique sa complexité et son caractère confus. Mais cela signifie aussi que de nombreuses voix qui n’ont traditionnellement pas de pouvoir ont pu être entendues. Le chaos et l’absence de direction qui ont caractérisé le Sommet représentaient en eux-mêmes une reconnaissance tacite de la croyance de plus en plus populaire selon laquelle le secteur humanitaire est un « écosystème » et non pas un système fonctionnant selon un principe hiérarchique, un système de commandement et de contrôle, et il exige dès lors un virage plus prononcé vers la collaboration et l’« interopérabilité » (ça y est, j’ai utilisé le terme !) entre ses acteurs. En réunissant un éventail aussi large d’acteurs, le Sommet a également contribué à attirer l’attention des politiques, du secteur des affaires et de l’ensemble de la société sur les questions humanitaires (...)

Le secteur humanitaire doit mieux répondre aux conflits.

Le secteur humanitaire a développé ses meilleurs mécanismes de financement, modalités organisationnelles et approches à la suite du tsunami qui a eu lieu en 2004 dans l’océan Indien. Le système est ainsi essentiellement conçu pour répondre aux catastrophes naturelles. Or 80 pour cent des interventions humanitaires ont lieu dans un contexte de conflits prolongés. Et c’est là que le bât blesse. (...)

Ce qui n’a pas fait l’objet d’une entente

La volonté politique de mettre un terme aux conflits.

La principale déception du SHM – un sommet dont l’un des objectifs était précisément de trouver des moyens de prévenir et de mettre un terme aux conflits – est sans doute l’absence des leaders mondiaux, et en particulier des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies. M. Konyndyk s’est porté à la défense du président américain Barack Obama en disant : « Je ne crois pas que l’on puisse mettre en doute l’engagement des États-Unis dans ce domaine [...] Le président n’a pas pu assister personnellement à l’événement, c’est tout. » La table ronde de haut niveau sur le thème du « leadership politique pour mettre fin et prévenir les conflits » semblait cependant un peu futile en l’absence du président américain et d’autres dirigeants importants, même si certaines promesses intéressantes ont été faites (la France a notamment annoncé qu’elle n’utiliserait pas son veto auprès du Conseil de sécurité en cas d’atrocités de masse). « Le fait qu’il était OK que ces responsables haut placés ne se présentent pas et qu’ils ne reçoivent qu’une faible remontrance de la part du Secrétaire général donne une piètre impression de l’état des relations de pouvoir », a commenté un fonctionnaire des Nations Unies.

La gestion des réfugiés et des personnes déplacées.

À l’approche du Sommet, le Secrétaire général des Nations Unies avait proposé l’adoption d’une approche plus juste visant à partager le fardeau des réfugiés avec les pays d’accueil et l’adoption d’un objectif pour réduire les déplacements internes de 50 pour cent d’ici 2030. Le thème de la migration a été abordé « plus sobrement », ce qui était rafraîchissant, selon M. Maurer, du CICR. Or, d’après le résumé officiel de l’événement, les participants ont simplement « décidé d’adopter une nouvelle approche » pour répondre aux besoins des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP), sans définir plus concrètement cette approche. L’ancien Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres est resté vague lorsqu’IRIN lui a demandé si de réels progrès avaient été réalisés (...)

La protection des civils dans les zones de conflit.

Pour Jan Egeland, Conseiller spécial de l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie, il fallait, pour pouvoir qualifier le Sommet d’Istanbul de succès, que son issue ait un impact réel pour les citoyens d’Alep, en Syrie, qui doivent composer avec des bombardements incessants. « Le Sommet a permis de nouvelles avancées dans le domaine de l’aide, dans lequel nous sommes déjà relativement bons », a dit M. Egeland à IRIN. « Malheureusement, j’ai constaté moins de progrès en ce qui concerne la protection, car c’est un domaine plus difficile. J’espérais que l’on mette davantage l’accent là-dessus », a-t-il ajouté, faisant écho aux commentaires des représentants de plusieurs ONG. (...)

« Beaucoup d’engagements ont été pris, mais ils l’ont généralement été par ceux qui sont déjà engagés. Nous avons besoin de l’engagement de ceux qui ne sont pas engagés du tout, ou pas encore, ou qui doivent encore être convaincus. Sur ce front-là, il faut faire plus et mieux. » Le fait que nous en soyons encore à demander aux acteurs internationaux de s’engager à respecter des normes internationalement reconnues montre à quel point nous avons encore du chemin à faire.

Le fossé entre l’aide humanitaire et l’aide au développement.

L’une des principales priorités évoquées à l’approche du Sommet était de mettre fin au cloisonnement entre l’intervention humanitaire, l’atténuation des effets du changement climatique et l’aide au développement afin de développer une approche plus cohérente de l’aide. Les grandes agences des Nations Unies ont toutes signé un « engagement à l’action » [Commitment to Action] en vertu duquel ils s’engagent à recourir à une « nouvelle façon de travailler » [New Way of Working] (notez le recours aux majuscules) ensemble à l’atteinte de résultats collectifs compatibles avec les Objectifs de développement durable sur des échéances pluriannuelles. Et pourtant le Sommet n’a pas fourni une définition précise de la convergence. (...)

Placer les populations au coeur de l’action humanitaire.

On a beaucoup parlé de l’importance de placer les personnes affectées par les crises « au coeur » de l’action humanitaire. Or, le sujet n’a pas obtenu l’attention que l’on pouvait espérer lors du Sommet. Il avait d’ailleurs été largement mis de côté dans le rapport du Secrétaire général établissant les priorités du Sommet d’Istanbul, et ce, même s’il avait été identifié comme un sujet important lors des consultations précédentes. (...)

La réforme des Nations Unies.

Tout comme la redevabilité envers les personnes affectées, la réforme des Nations Unies n’est presque pas mentionnée dans le rapport du Secrétaire général sur les priorités du Sommet, sur lesquelles l’ordre du jour de l’événement était basé. « L’une des principales faiblesses du SHM est l’absence de conversation honnête sur la réforme du Conseil de sécurité, la réforme des agences des Nations Unies, la réforme politique nécessaire », a dit Degan Ali, cofondatrice de NEAR, un réseau d’ONG du Sud. (...)

Une feuille de route pour la suite des choses.

Les Nations Unies s’appuieront sur l’interminable liste des engagements individuels et collectifs pris lors du Sommet pour créer une « plateforme d’engagement à l’action » [Commitments to Action platform]. Celle-ci sera rendue accessible au public « et nous permettra de rendre des comptes pour les engagements que nous avons pris », a dit M. Ban. On ignore encore comment cela sera fait exactement. Les Nations Unies prévoient de « revoir » les engagements avec les participants au Sommet pendant l’été afin que M. Ban puisse présenter un rapport contenant des recommandations pour les États membres lors de l’Assemblée générale qui aura lieu en septembre. (...)

Comme l’a dit M. Bessler : « Des questions se posent concernant ces engagements. On peut notamment se demander : ‘Et maintenant, comment on fait ?’ »