
Que se passe-t-il en Slovénie ? Des milliers de personnes ont défilé vendredi à Ljubljana et dans d’autres villes du pays, alors que les syndicats et les partis d’opposition n’avaient pas appelé à ces rassemblements. La mobilisation s’organise par les réseaux sociaux, comme Facebook, et dans la crainte permanente des provocations de la police. Les manifestants brandissaient des drapeaux slovènes et ceux de l’ancienne Yougoslavie socialiste. Reportage à Ljubljana.
(...) Ils sont des milliers dans le centre de Ljubljana, venus de tout le pays, même si d’autres rassemblements ont lieu à Maribor, Ptuj ou Nova Gorica. Les manifestations de ce vendredi doit couronner le mois de mobilisation entamé à la fin novembre à Maribor, la ville devenue le symbole de la faillite du modèle libéral en Slovénie.
Sur la place en face du Parlement, la foule est tenue à distance par une centaine de policiers anti-émeute qui ont construit un grand cercle de protection autour de l’édifice. On s’attend au pire. La violence, au cours des dernières semaines, a évolué d’une façon préoccupante, selon Nika, une jeune fille qui travaille comme documentariste et n’a pas raté une seule manifestation depuis la fin novembre : « au début », explique-t-elle, « les policiers n’étaient pas armés. Ensuite, ils ont commencé à utiliser les gaz lacrymogènes, pour la première fois dans l’histoire de la Slovénie moderne. Désormais, ils nous chargent à cheval »…
La décision de la Cour Constitutionnelle de rejeter la demande de référendum contre la banque poubelle et les privatisations, a exaspéré la tension entre les contestataires et le gouvernement. Tout le monde redoute des provocations. (...)
La crainte de possibles infiltrations est tellement répandue que certains manifestants confient à mi-voix : « on nous a dit que le gouvernement payerait les ultras du Dinamo Zagreb pour provoquer des accidents ».
La tension est très forte chez tous les manifestants. Beaucoup ne veulent pas être photographiés, certains refusent même de donner leur nom. Tout le monde a peur de la police. Il y a quelques semaines, un policier avait écrit une lettre ouverte à ses collègues, pour les exhorter à joindre le mouvement de protestation. L’État, pour éviter le risque d’une coalition entre la police et les manifestants, a décidé d’augmenter le salaire des agents déployés face aux manifestants, ce qui coûtera 600.000 euros aux caisses de l’État, théoriquement vides. (...)
La difficile situation économique a poussé les Slovènes dans les rues. Les manifestants sont fondamentalement autonomes, les groupes politiques organisés sont peu nombreux. Les syndicats avaient donné leur soutien à cette journée, mais ils ont finalement décidé de ne pas appeler à la manifestation : la grève générale, qui devait marquer l’union de tous les travailleurs contre les réformes, a été repoussée à janvier 2013. Les partis politiques sont absents. La révolte, aujourd’hui, se développe on-line. Un seul événement partagé sur Facebook peu convaincre de milliers de personnes de participer. « Tu ne dois pas venir ici et demander qui organise cette manifestation », répète-t-on partout : « cette manifestation est à tous, et tout le monde est fier d’être là ».
Même si les manifestations, jusqu’à présent, n’ont eu que des résultats tangibles limités — essentiellement la démission de Franc Kangler, le maire de Maribor accusé de corruption — elles ont provoqué un véritable tsunami dans l’histoire de l’engagement politique en Slovénie. (...)
Tout au long du mois qui vient de s’écouler, les citoyens de Slovénie ont retrouvé le chemin de la rue et des manifestations, après deux décennies. Il est peut-être trop tôt pour savoir si cette renaissance de l’engagement politique aura des conséquences durables ; pour l’instant, toutefois, les manifestants semblent comprendre qu’il faudrait se donner une organisation plus définie. La désorganisation peut facilement emmener à l’exacerbation des divisions qui existent entre les myriades des groupes et d’individus qui composent l’univers de la contestation à Ljubljana. « Parler seulement en notre nom n’est pas suffisant », reconnaît une jeune militante d’un groupe antifasciste qui préfère rester anonyme : « après ces contestations, il faudra donner une alternative institutionnelle au changement… Sinon, nous n’aurons pas la possibilité de représenter une véritable alternative face aux partis politiques ». (...)