Le projet de loi Asap, discuté cette semaine à l’Assemblée nationale, accélère la déréglementation des sites industriels. Et ce n’est pas le seul problème en matière de gestion des risques industriels en France, explique l’expert Paul Poulain à Reporterre : il faut aussi faire appliquer cette réglementation et pour cela l’État manque cruellement de bras.
Paul Poulain — Je vais commencer par le positif : on va améliorer la sécurité incendie, d’un point de vue réglementaire, des sites et entrepôts stockant des matières inflammables. Les sites qui ne l’ont pas encore fait vont être obligés de s’équiper pour éviter une propagation d’incendie.
Mais après se pose la question de l’application de la réglementation. On nous parle d’une augmentation de 50 % des inspections de sites, donc on passerait de 18.000 à 27.000 inspections par an. Sauf qu’il faut revenir en arrière. Avant l’explosion de l’usine AZF, en 2001, il y avait 13.000 inspections par an. Après AZF, le nombre était remonté, avec 30.000 inspections en 2006. Cela veut dire qu’à la fin du quinquennat de Macron, on ne sera même pas revenu au niveau d’inspection de 2006. Cela ne correspond pas aux enjeux qui sont ceux de la maîtrise des risques industriels.
Par ailleurs, on nous parle de 50 recrutements pour assurer ces inspections, donc le nombre d’inspecteurs des installations classées pour la protection de l’environnement [ICPE, en gros, les installations industrielles] passera de 1.600 à 1.650 . J’ai calculé que si on voulait vraiment s’assurer que toutes les ICPE respectent la réglementation, il faudrait 9.000 inspecteurs. Il faudrait donc plutôt créer 7.400 postes ! (...)
Deux mesures en particulier posent problème dans ce projet de loi Asap. La première, à l’article 25, prévoit que lorsqu’un industriel demandera une autorisation d’exploiter, à partir de l’envoi du dossier de demande, il sera déjà considéré comme un site existant, sans attendre la validation de l’administration. En moyenne, pour obtenir cette validation, le délai se situe entre six mois et un an. Or, chaque année, il y a de nouvelles réglementations par rapport aux retours d’expérience d’accidents précédents. Cela signifie que l’on perd l’avancée de ces nouvelles réglementations.
Le deuxième problème est l’article 26, car il prévoit que l’industriel pourra faire des travaux avant même d’obtenir l’autorisation environnementale, dès le dépôt du permis de construire. C’est une remise en cause totale du droit de l’environnement. Car quand on dépose un permis de construire, on n’a pas encore fait d’étude d’impact environnemental.
Donc, on pourrait commencer des travaux qui entraînent une destruction de l’environnement… pas encore autorisée ?
C’est cela. (...)
On est dans le « en même temps ». J’ai évoqué l’amélioration de la sécurité incendie des installations d’entrepôts et sites chimiques. C’est une avancée importante, encore faut-il que la réglementation soit appliquée. Et sans inspection suffisante, j’en doute.
Mais de l’autre côté, on a un allègement par exemple des seuils de réglementation pour les entrepôts logistiques. La réglementation devrait bientôt être mise en place. Avant, vous étiez obligés de faire une étude d’impact environnemental à partir de 300.000 mètres cubes de stockage. Là, ce sera 900.000 mètres cubes. Sachant que le seuil avait déjà bougé en 2008, on était passés de 50.000 à 300.000 m³. Donc, quand vous faites un entrepôt logistique du style Amazon, en 2007 à partir de 50.000 m³ vous étiez obligés de faire une étude d’impact et d’évaluer les conséquences sur l’artificialisation des sols, les pollutions toxiques, les risques incendie. Désormais, cela sera à partir de 900.000 m³, soit 18 fois plus grand. (...)
Il faut sortir de cette communication qui dit, pour rassurer les gens, qu’un incendie n’entraîne pas des conséquences sur la santé des populations. C’est faux. À partir du moment où des combustibles brûlent, cela entraîne à 10, 20, 30 ans une augmentation des cancers. C’est observé par des épidémiologistes. (...)
Les accidents industriels ne sont pas les seuls responsables, bien sûr, mais font partie du problème. Surtout que c’est une pollution que l’on peut éviter dans la grande majorité des cas.
Y a-t-il en France une suffisante culture du risque ?
Il y a un manque énorme de culture du risque. Déjà, l’éducation à l’environnement est très faible en France. Quelques notions sont abordées à l’école sur le climat et la biodiversité mais rien sur les risques industriels. Même dans les cursus supérieurs, quand on arrive au niveau universitaire, dans les écoles d’ingénieurs, de techniciens ou d’architectes, il n’y a quasiment pas d’heures sur la sécurité incendie, ou sur comment éviter les pollutions toxiques, les risques d’explosion. On part de très loin. (...)
Deuxième point, il faut permettre à la population de s’informer sur la question des risques industriels. C’est l’objet de la plateforme Notre maison brûle. (...)
Alors finalement, quel est le problème ? Le manque d’information de la population, l’inconséquence des industriels ?
Le problème vient d’abord de l’État. Les industriels sont là pour faire du profit. (...)
L’idée de Notre maison brûle n’est pas d’être contre tous les sites industriels. Mais déjà de regarder quels sont les sites industriels dont on peut se passer. (...)
Après l’appel à mobilisation pour l’anniversaire de l’incendie de Lubrizol, quelle est la suite pour Notre maison brûle ?
Déjà, samedi a été une réussite, nous avons recensé 15 manifestations en France devant des sites Seveso et des installations nucléaires. L’objectif est maintenant de faire de l’éducation populaire pour que la population ne se laisse plus faire et demande aux gouvernants de changer l’approche dans la maîtrise des risques industriels. Et on a créé avec Mediapart un Observatoire des violences industrielles, pour, à chaque accident, analyser les conséquences sanitaires et environnementales.