
Dans le cadre du reportage Cash Investigation1 diffusé sur France 2 portant comme intitulé « Nos données personnelles valent de l’or ! », les journalistes se sont intéressés aux pratiques de l’entreprise IQVIA en matière d’utilisation des données de santé récupérées par les « logiciels de gestion de fiches client » mis à disposition par l’entreprise IQVIA aux pharmacies.
Plusieurs organisations et associations dénoncent les risques en matière de protection des données de santé collectées et recueillies par IQVIA dans le cadre de Pharmastat.
Ils saisissent ce jour la CNIL d’un signalement.
Traitement des données de santé à des fins commerciales
IQVIA revendique un réseau de plusieurs dizaines de milliers de pharmacies qui lui remonte des données de santé à intervalles réguliers : Pharmastat2.
Si IQVIA a une autorisation CNIL pour administrer un entrepôt de données de santé nommé “LRX”3 et traiter ces données à des fins d’intérêt public (notamment pour des recherches et évaluations), IQVIA utiliserait également les données de santé à des fins commerciales.
En effet, comme révélé par Cash Investigation, le réseau Pharmastat délivrerait aux pharmaciens des logiciels de Gestion d’Officine en intégrant certaines données de santé recueillies à l’occasion du passage des patients en pharmacie. Le problème est que les patients ne seraient pas informés de l’utilisation de leurs données à des fins commerciales, et ne pourraient par conséquent ni y consentir, ni s’y opposer.
D’après le reportage “Cash Investigation” IQVIA vendrait des études de marché pouvant coûter jusqu’à 500 000 euros.
Voici ce que déclare un commercial de l’entreprise (Extrait Cash Investigation) :
“Pour information, sur une pathologie, pour avoir un peu d’informations en terme de parcours patients, c’est minimum 20 000 balles. Et encoe là, je suis vraiment dans le bas, bas, bas de la fourchette, ce sera plus élévée. Parce que c’est la seule base qui existe et qui permet de faire ca en France”
Or, les données recueillies sont particulièrement massives et sensibles3. Ce sont les données de santé de plus de la moitié des officines françaises4.
Source : Plaquette commerciale IQVIA “Comment faire évoluer votre officine ?”
Société de droit américain
Par ailleurs, la société IQVIA est une société américaine.
En ce sens, l’entrepôt de données de santé de IQVIA est soumis au droit américain, lequel n’assurerait pas un niveau de protection suffisant au regard du RGPD.
En effet, les conséquences de l’arrêt de la CJUE du 16 juillet 20205 « Schrems II » sur l’hébergement de données entreposées sur le sol français ou européen par des sociétés de droit américain serait incompatible avec le RGPD tel qu’il en ressort de l’appréciation de la CNIL6, du Conseil d’État7 et tout récemment de des déclarations du gouvernement lui-même au travers de la nouvelle politique “cloud de confiance”8.
Demandes des signalants
Le collectif de signalants regroupe des associations des libertés numériques et de défense des libertés fondamentales,des associations de patients, des syndicats de médecin, de salariées des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux.
Ils sollicitent la CNIL pour :
Que soit précisé les cas où IQVIA intervient en tant que « responsable de traitement » ou « sous-traitant » ou encore « co-responsable » avec les pharmacies du réseau Pharmastat ;
- Qu’un contrôle soit réalisé en ce qui concerne les informations délivrées aux patients, et notamment la révision des notices d’information IQVIA mis à disposition sur le site de l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine9 ;
- Que le principe du recueil de consentement dans le cadre des finalités commerciales Pharmastat soit rappelé, contrôlé et effectif ;
- Que l’effectivité des droits d’opposition des patients par le biais du code barre à scanner soit contrôlée et vérifiée ;
- Qu’un contrôle soit réalisé pour vérifier que l’entrepôt de données LRX n’est pas utilisé pour alimenter les traitements de données dans le cadre des outils Pharmastat (tableau de bord, etc), les bases de données de Pharmastat devant être étanches vis à vis de celles de LRX ;
- Que le principe de portabilité des données recueillies par les logiciels de gestion d’Officine LGO fournis par IQVIA soit effectif et respecté ;
- Que le traitement des données de santé notamment dans le cadre de l’entrepôt LRX par une société soumise au droit américain donne lieu à une nouvelle analyse des risques en présence ;
Lire aussi :
« Nos données personnelles valent de l’or », souriez, vous êtes fiché !
« Si c’est gratuit, c’est vous le produit » : la célèbre formule vaut pour la plupart des sites et applis aux services en apparence gratuits, comme Google ou Facebook. C’est ce que montre cette enquête sur les data brokers, ces méconnus courtiers en données gourmands de tout savoir de nous. Ils achètent et revendent nos informations, même confidentielles : chez ColdCRM, qui se vante d’avoir 320 millions de contacts en magasin, les journalistes de « Cash investigation » ont pu dénicher les numéros de portable de ministres – Gérald Darmanin, Bruno Le Maire –, de hauts gradés de la police ou encore de Jean-Luc Mélenchon. Même pas besoin d’être inscrit à un service pour y être fiché : lorsqu’un de vos amis clique sur « autoriser l’accès aux contacts » en installant une appli, vos coordonnées, s’il les a, seront à leur tour aspirées.
Un marché énorme
Côté données de santé, Disconnect, une extension pour navigateur web qui propose notamment un moteur de recherche pour savoir quels sites ont accès à nos informations en ligne, révèle que des dizaines d’entreprises les récoltent via Doctissimo, qui, en réponse à l’équipe d’Elise Lucet, s’est défendu du contraire... par mail. Et gare aux journalistes qui tenteraient de venir les questionner ! Autre séquence marquante, la présentation de l’américain IQVIA, qui siphonne des montagnes de données en équipant en logiciels la moitié des pharmacies françaises : chaque client est suivi dès qu’il y utilise sa carte Vitale. (...)