
Les archives secrètes du Vatican sur Pie XII sont enfin ouvertes. Un historien allemand a déjà trouvé la preuve que le chef de l’Eglise catholique était informé sur la Shoah dès septembre 1942.
Dans le maelstrom planétaire causé par le Covid-19, la chose est passée inaperçue. Pour les historiens de la Shoah, c’est pourtant une nouveauté de taille : depuis début mars, les « archives secrètes » du Vatican concernant le pontificat de Pie XII, que les plus critiques appellent « le pape de Hitler », leur sont ouvertes sans restriction. Elles ont certes dû être provisoirement refermées à cause de la crise sanitaire, mais les spécialistes vont enfin pouvoir juger sur pièces et répondre à des questions qui font débat depuis huit décennies : que savait le chef de l’Eglise catholique de l’extermination menée par les nazis ? Et surtout à partir de quand ? (...)
"La liquidation du ghetto de Varsovie est en cours. Sans distinction, sans considération ni d’âge ni de sexe, tous les Juifs sont conduits hors du ghetto et fusillés. Leurs cadavres sont utilisés pour produire de la graisse, leurs os pour fabriquer des engrais. Les exécutions de masse n’ont toutefois pas lieu à Varsovie même, mais dans des camps spécialement préparés pour cela, dont l’un se trouve à Belzec. Durant le mois qui vient de s’écouler 50.000 Juifs ont été assassinés sur place à Lemberg (l’actuelle Lviv, en Ukraine). Selon un autre rapport 100.000 ont été massacrés à Varsovie. Dans tout l’est de la Pologne, y compris dans les territoires occupés par les Russes, plus aucun Juif n’est encore en vie". Ces informations terribles, transmises fin août 1942 au gouvernement des Etats-Unis par le bureau de l’Agence juive pour la Palestine de Genève, Washington en a demandé confirmation au plus haut niveau de l’Eglise catholique : au pape Pie XII.
Le 27 septembre 1942, l’ambassadeur américain auprès du Saint-Siège, Myron Charles Taylor, s’est rendu au Vatican et y a remis un mémorandum dans lequel les faits collectés à Genève étaient détaillés. Le document précisait que les Juifs d’Allemagne, de Belgique, de Hollande, de France et de Slovaquie étaient déportés vers l’est pour y être "abattus" comme des animaux ("butchered" était le terme utilisé). Et ajoutait que, comble de cette "tragédie", les Allemands avaient réussi à monter les Polonais catholiques contre leurs compatriotes juifs. On a désormais la preuve que Pie XII a eu ce rapport le jour même sous les yeux. Au cas où des agissements aussi barbares seraient confirmés par des sources ecclésiastiques, Washington voulait aussi savoir si le pape avait une idée de la façon dont "les forces civilisées dans le monde" pouvaient s’y opposer.
De fait, le Vatican ne s’est pas associé à la protestation solennelle émise à ce sujet, le 17 décembre 1942, par la Grande-Bretagne, l’Union soviétique et les Etats-Unis. (...)
Mais ce qui a le plus secoué Wolf et ses collaborateurs fut de trouver, dans ce monceau d’archives, des lettres suppliant le Vatican d’intervenir. (...)
La volonté de « transparence » qu’affiche désormais le Vatican sur une période aussi sombre est en tout cas à replacer dans le contexte des changements initiés depuis 2013 par le pape François. Celui-ci a nettement déplacé le curseur des questions de morale sexuelle vers l’accueil des migrants, la justice sociale et la protection de la planète. Dans sa seconde encyclique, Laudato Si’, consacrée à la « sauvegarde de la maison commune » et publiée en 2015, il se posait en chef spirituel des mouvements écologistes. Lors de son allocution pascale, en pleine crise du Coronavirus, il a plaidé pour un revenu universel ! En 2020 comme en 1942, l’Eglise est une force d’influence que les autres acteurs politiques ne sauraient négliger.